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1. Situation

1a . Situation géographique

Le Chalet de Chanin se trouve à 2200m d’altitude sur une importante croupe herbeuse dominant le village d’Entraigues dans la commune de Saint Jean d’Arves, le long de la sauvage vallée de Valfroide. Si l’on continue cette arête d’herbe vers le haut, l’on rencontre d’abord la trace d’une dizaine de chalets jusqu’à 2300m dont il ne reste aujourd’hui plus que des vestiges plus ou moins importants des trois murs enterrés, puis un grand replat à 2400m qui redescend même un petit peu portant le nom du plan de la gouille, et les pentes mènent enfin jusqu’au sommet de la Cime des Torches qui culmine à 2958m.

Chanin se trouve à l’extrême sud de la Savoie, à quelques pas du point de rencontre des trois départements de la Savoie, de l’Isère et des Hautes Alpes. La commune est Saint-Jean d’Arves, qui se trouve entre la ville de Saint-Jean de Maurienne et le col de la Croix de Fer permettant de passer sur Grenoble (l’été). Vous pourez situer Chanin sur cette carte de la Savoie.

La situation du chalet de Chanin est assez exceptionnelle à plusieurs titres. D’abord par sa hauteur. Rares sont les chalets qui se trouvent dans cette région à plus de 2000m, et 2200m est généralement l’extrême limite de l’altitude à laquelle on rencontre des chalets. Sur le plateau de Montrond au pied des Aiguilles d’Arves, le chalet le plus élevé est celui de la Motte à 2180m, au-dessus d’Albiez les chalets ne vont guère plus haut que 1800m, avec seulement le Coin Giroud à 2020m sous le col des masses. Sur l’autre versant de la Basse de Gerbier, en redescendant des Aiguilles d’Arves vers Entraigues, les chalets les plus élevés sont ceux des aiguilles d’en haut à 2200m et ceux du Col à 2280m. Il faut signaler aussi le petit chalet de l’Arc à 2300m sous le col de l’Infernet, mais il ne s’agit en fait que d’une petite cabane ne comprenant pas toutes les installations d’un chalet d’Alpage (grange et écurie). Cette altitude extrême s’explique par des conditions privilégiées de climat, d’exposition au soleil et de qualité de terre qui fait que l’herbe est abondante et grasse à une altitude où elle commence ailleurs à être rare.

Cependant, l’altitude du chalet de Chanin fait de toute façon qu’il se trouve la plus grande partie de l’année sous la neige. Suivant les années, ce n’est que vers la mi juin ou le début de juillet que la neige est vraiment partie, elle retombe facilement tout au cours de l’été lors de temps particulièrement mauvais, mais sans tenir, et la neige revient vraiment en pouvant durer plusieurs jours au cours de septembre. Cela fait qu’un chalet comme Chanin ne pouvait pas être le seul chalet d’alpage d’une famille. Il y avait alors deux niveaux d’alpage, dont Chanin était le second, utilisé en gros pendant les mois de juillet de d’août. Le premier alpage allant avec le chalet restant de Chanin se trouvait aux Ramées, chalet aujourd’hui détruit se trouvant dans un ensemble important d’une dizaine de bâtiments groupés, à 1650m d’altitude sur le bord du chemin montant à Chanin. Ce chalet était utilisé d’abord au printemps, en mai, puis en redescendant lors des premières neiges en septembre. Ce chalet des Ramées ne comprenait qu’une étable surmontée d’une grange, sans endroit d’habitation. Ce chalet n’étant qu’à 3/4 d’heures de marche de l’habitation principale, après la traite du soir ils rentraient au Villard passer la nuit en laissant les bêtes dans l’étable des Ramées où ils les retrouvaient pour la traite du matin.

L’autre particularité de la situation de Chanin est qu’il se trouve sur une arête. En effet, ceux qui construisaient les chalets dans les temps anciens se préoccupaient rarement de la vue qu’ils auraient pour se mettre plutôt là où ils pouvaient trouver le meilleur pâturage. Or les meilleurs pâturages sont le plus souvent dans des creux, dans de vastes vallons, ou sur des pentes pas trop abruptes et bien exposées. Chanin sur son arête est donc original, mais cela tient d’abord au fait que l’arête même de Chanin est originale. Elle est en effet particulièrement vaste, formant comme une grosse croupe herbeuse isolée au milieu des autres montagnes. Et si la largeur de cette croupe est importante, sa pente n’est pas très forte, pour être finalement nulle au plan de la Gouille. Par contre, les bords de la croupe de Chanin sont très escarpés. Sur le côté Est, vers Valfroide, la pente devient rapidement à plus de 45 degrés pour finir en falaises, et de l’autre côté, après avoir passé le petit torrent de Coirnavan, et la pente d’herbe du même nom, se trouvent les escarpements infranchissables surplombant les ruisseaux du Py et du Vallon. Donc finalement, pour exploiter ces riches pâturages de Chanin et de la Gouille, l’endroit le plus confortable et commode, celui qui est le moins pentu se trouve bien sur l’arête elle-même.

Cette situation a plusieurs conséquences. La plus heureuse, pour nous aujourd’hui, est la vue exceptionnelle dont bénéfice le chalet, avec les Aiguilles d’Arves, bien sûr, mais aussi vers le nord jusqu’au Mont Blanc qui se trouve à 85 kilomètres, ainsi que les différents grands massifs de Belledonne qui forment une longue chaîne ininterrompue sur laquelle se couche le Soleil à l’ouest, ou de la grande Casse à l’Est. La mère de l’ancien propriétaire, née au début du siècle, était sensible à cette exceptionnelle vue qu’offre Chanin, et elle savait que cette vue s’étendait jusqu’au Mont Blanc. Un second avantage de la situation sur une crête est que le risque d’avalanche y est minimal. Mais une conséquence moins favorable, est que sur son arête, le chalet de Chanin est particulièrement exposé au vent. Le vent souffle en général de l’ouest et peut être d’une violence extrême, même l’été au point d’avoir du mal à sa tenir debout quand on quitte l’abri du chalet. C’est ce vent qui a entraîné la dégradation rapide du chalet avant sa reconstruction en 1992. En 1978 des tôles du toit on été arrachées, permettant à la neige de pénétrer dans le chalet, en pourrissant le foin, puis le plancher et enfin les poutres d’entrait, puis le vent s’engouffrant dans cette ouverture, la porte de la grange a été arrachée, et le vent pouvant pénétrer alors largement dans le toit, celui ci a été emporté par une bourrasque en 1985 pour se déplacer d’un mètre vers l’avant (nord) et de deux vers Valfroide (Est), pour tomber à l’intérieur de la maison à cheval sur le mur est, faisant tomber les murs et brisant tous les entraits.

Ce vent important sur l’arête de Chanin a une autre conséquence plus curieuse: quand on y monte l’hiver, on n’y trouve pas la quantité énorme de neige que l’on pourrait s’attendre à trouver. Et en particulier, la porte de la grange qui donne dans le toit à l’arrière du chalet, est toujours dégagée, bien qu’elle se trouve au ras du sol. La neige qui tombe est sans cesse balayée par le vent en faisant une jolie congère circulaire à plus de deux mètres derrière le chalet. Les deux portes à l’ouest sont en général comblées de neige jusqu’à la moitié de leur hauteur, la cave qui se trouve aussi à l’ouest est recouverte de neige, donnant au chalet un ancrage important contre le vent, et le devant du chalet est presque complètement dégagé jusqu’au bas des planches. Pour les mêmes raisons, la neige ne s’attarde guère sur le toit lui-même, si ce n’est sur la cave dont la pente est beaucoup plus faible.

Il n’est pour finir pas impossible que cette situation particulièrement exposée soit une des raisons de la disparition précoce du grand nombre de chalets qui se trouvaient en Chanin. Contrairement à d’autres chalets bien protégés des vents qui peuvent rester debout (ou presque) longtemps après qu’ils aient cessé d’être entretenus, un chalet aussi exposé qu’à Chanin doit rester en parfait état pour demeurer.

1b. Le climat

Si le climat est fort rude l’hiver à 2200m sur une arête, il le reste dans une certaine mesure l’été.

L’hiver, le chalet est pratiquement inaccessible, sans compter les risques importants d’avalanches qui empêchent le plus souvent de s’aventurer dans les pentes menant au chalet, il faut au moins 5 heures d’ascension dans la neige pour y accéder. Et de toute façon, un chalet d’alpage n’est pas fait pour protéger du froid intense, de la bise, et de la neige qui règnent en hiver. Malgré un calfeutrage sommaire avec des vieux journaux ou de la bouse de vache, le chalet reste en grande partie fait en planches, et les courants d’air sont innombrables. Cela fait qu’en faisant un feu important dans le poêle en fonte, s’il n’y a pas trop de vent pour faire partir la chaleur, on parvient à élever la température intérieure de la cuisine d’environs 10 degrés. C’est suffisant l’été, s’il fait 5 degrés le matin dans le chalet, une température agréable de 15 peut être obtenue. Mais l’hiver, s’il fait – 20, et que la cuisine est elle même remplie de la neige qui s’est infiltrée à cause du vent, une nuit passée là tient plus du bivouac extrême que d’autre chose.

L’été, en juillet et en août, la température moyenne entre le jour et la nuit se situe aux alentours de 5 degrés. Cela signifie qu’il gèle très souvent la nuit, la rosée laissant alors une jolie gelée blanche qui part dès les premiers rayons de soleil, et que le jour, il fait le plus souvent entre 12 et 15 degrés. La pièce d’habitation a néanmoins une certaine inertie, qui fait que même aujourd’hui où il n’y a plus de bétail pour tenir chaud, la température y descend rarement au-dessous de 5° la nuit; et le soir, un feu dans le poêle pour préparer le repas permet d’avoir une température très agréable entre 15 et 20°.

Le soleil, par contre chauffe très fort, comme toujours en altitude, et s’il fait beau, même quand le fond de l’air reste frais, il fait très bon de s’y exposer.

Quand le ciel est couvert, ou qu’il fait mauvais, la température baisse moins la nuit, mais monte moins le jour, et la température peut alors rester stable autour de 8 degrés en moyenne.

L’été, les orages ne sont pas rares, et peuvent être particulièrement impressionnants en montagne. En effet, non seulement l’écho répercute le tonnerre, mais la haute cime des Torches accroche facilement les nuages provenant du massif de l’Étendard, ou des Aiguilles d’Arves, et libère alors sur place un orage qui se déverse sur la côte de Chanin. A première vue, Chanin peut sembler exposé à la foudre, se trouvant tout seul sur sa crête. Mais en fait, de mémoire, on ne se souvient pas qu’il ait pu être jamais touché par la foudre. Il y a en fait des endroits plus ou moins conducteurs dans le sol, et les éclairs tombent le plus souvent dans les mêmes zones. On rencontre parfois de tels endroits en se promenant dans la montagne, souvent dans le fond des torrents, où l’on voit dans un lieu relativement circonscrit des dizaines de pierres marquées par la foudre, avec cette trace de couleur rouille caractéristique qui dans certains cas a même creusé la pierre. Il faut donc croire que Chanin n’a pas été construit là et demeuré sans raison, il ne doit pas se trouver sur un lieu où tombe facilement la foudre. Mais la foudre tombe parfois où on ne l’attend pas, et tout le monde a entendu parler de chalets, ou même de maison dans un village qui ait pu un jour brûler à cause de la foudre. Ceux qui habitaient les chalets avaient une attitude faite souvent d’un mélange de crainte et de résignation. Tous ceux qui ont vécu dans un chalet de montagne peuvent dire qu’ils ont eu peur dans certains orages, mais comme on n’y peut rien…

Et enfin, à part ces perturbations spectaculaires et relativement fréquentes, il y a d’autres phénomènes plus rares, mais fort remarquables.

D’abord, il n’est pas rare qu’à la suite d’une perturbation importante, il y ait de la neige à Chanin, en juillet ou fin août. Cette neige peut alors atteindre 5 centimètres et laisser un paysage tout blanc d’hiver, ce qui est assez inhabituel pour un plein été. Si le temps se remet au beau, cette neige peut repartir très rapidement, en une journée, mais du temps où il y avait des bêtes à Chanin, elle présentait un danger réel. Les vaches laitières, en effet étaient surveillées de près, et rentrées à l’étable pour la nuit, mais il y avait dans la montagne, des troupeaux importants de génisses qui allaient où elles voulaient. Les terres de Chanin ont pour cela un avantage, c’est qu’elles sont limitées de tout côté par des ravins infranchissables: Le Valney au Sud, le ravin du Py à l’ouest vers le Vallon, et Valfroide à l’est. Cela fait que les vaches ne pouvaient pas aller bien loin. Mais le danger, était, en cas de neige, dans les pentes très fortes des travers vers le Révi qui descendent vers Valfroide. Il y a là beaucoup d’excellente herbe, mais avec la neige, elles deviennent très glissantes, et il n’était pas rare qu’une vache soit perdue, en ayant glissé, et se perdant dans les escarpements de Valfroide 200 ou 300m plus bas.

Et pour terminer, le plus beau phénomène météorologique que les habitants de Chanin ont parfois le privilège de voir, est la mer de nuage. Il arrive en effet, une ou deux fois dans l’été qu’une mer de nuage se forme pendant la nuit, à la suite d’une période de mauvais temps, et que le chalet se retrouve alors dans un ciel bleu magnifiquement éclairé par un blanc soleil du matin, avec à ses pieds une épaisse couverture de nuages blancs homogène, s’étendant à perte de vue sur une centaine de kilomètres, faisant disparaître la vallée, et laissant juste émerger les sommets de plus de 2000m. Ce phénomène en tant que tel n’est pas très rare, et souvent il y a une couche de nuages qui se forme à cette même altitude de 2000m, mais quand il se réalise très proprement, c’est une des plus belles choses qu’il puisse être donné de voir, et que ceux qui vivent plus bas ne peuvent connaître. Peut-être n’est-ce pas un hasard si le plafond nuageux se fixe à cette altitude. Des nuages arrivants de l’Ouest remplissent la vallée de l’Arc obstruée de toutes parts, montent le long des pentes jusqu’à atteindre les à 2000m les deux grands cols de la Croix de Fer (ouvrant vers le Sud) et de la Madeleine (ouvrant vers le Nord).

1c. La flore et la faune

Lorsque l’on monte le chemin de Chanin depuis la vallée, on voit clairement les différents niveaux de la végétation alpine. D’abord, les champs et les prés, avec des habitations principales, comme autour du hameau des Tours, laissant par endroit la forêt d’épicéas. Celle-ci parvient à monter jusqu’à l’altitude de 1750m, encore qu’elle ait du mal en certains endroits, à cause des avalanches qui arrachent régulièrement tous les arbres sur leur passage, comme cela se voit bien dans le versant nord du ravin du Vallon. La vue que Chanin offre sur l’autre rive est à cet égard assez spectaculaire et révélatrice des agressions subies par la forêt. On remarque d’abord les couloirs d’avalanches les plus réguliers bien visibles par leurs petits sapins qui ont parvenu à repousser depuis quelques années qu’une grosse avalanche n’est pas partie, parviennent à rester protégés grâce à la couche de neige. On voit également la trace d’avalanches plus exceptionnelles qui ont ravagé sur leur passage en les couchant des épicéas de plusieurs dizaines de mètres de hauteur, et enfin la trace d’un tourbillon de vent qui, dans le fond du ravin, a mis à terre des grands arbres en forme de spirale, comme un jeu de mikado.

Après les sapins, commence le royaume des « arcosses « , qui sont en fait des aulnes verts, buissons à racines rampantes qui peuvent faire deux à trois mètres de haut, et qui parviennent à pousser jusqu’à l’altitude de 2000m, laissant çà et là la place à un petit bouleau. Entre 2000 et 2100m se trouvent encore des arcosses, mais d’une autre variété, plus petits, mais tout aussi envahissants, menaçant les chemins… Ensuite, c’est l’alpage proprement dit: de l’herbe et uniquement de l’herbe, d’abord parvenant à devenir assez haute à la fin de l’été, puis restant de plus en plus courte, jusqu’à 2600 au 2700m où elle reste toujours rase, ne pouvant convenir alors qu’à d’éventuels moutons.

Au cours du mois de juillet, cette herbe se couvre de fleurs multicolores, avec une dominante jaune. Les terres autour de Chanin offrent une variété assez exceptionnelle de fleurs dont certaines sont rares. On rencontre en particulier, sur le chemin, dans les voûtes du Mottet, de nombreux lys martagon. Ceux-ci sont en fleur à peu près au moment de la fin du mois de juillet, et on en retrouve d’autres plus haut non loin du chalet, dans les pentes orientées vers l’est, vers le Révi, fleurissant jusqu’en août. Ces même pentes font aussi apparaître de magnifiques lys orangés, des lys blancs, ainsi que d’autres espèces que l’on ne rencontre normalement que rarement et qui sont protégées.

Pour ce qui est des fort recherchées edelweiss, il ne s’en trouve pas vraiment à proximité du chalet, mais à quelques heures de là, en traversant le Valney, sur les pentes d’herbe suspendues, orientées vers les aiguilles d’Arves, au dessus de la Fardelière, à l’altitude précise de 2400m on en trouve des quantités extraordinaires.

Quant à la faune, les animaux que l’on rencontre à Chanin sont ceux que l’on peut voir habituellement dans les alpages à ces altitudes. Il faut citer en particulier les marmottes, très nombreuses à Chanin. Celles qui habitent dans les nombreux terriers situés sur l’arête à une centaine de mètres à l’ouest du chalet s’habituent très vite aux habitants, et sont facilement visibles du chalet, se dorant au soleil, jouant entre elles, ou surveillant la montagne dans leur position dressée caractéristique. Il y a aussi des terriers tout contre le chalet, et lorsque celui-ci était habité tout l’été, il paraît que les marmottes de ces terriers finissaient par s’habituer aux vaches et à leurs gardiens, pour vivre et évoluer tout contre le chalet. On parle même d’une marmotte au goût musical prononcé qui s’approchait lorsque le poste de radio était allumé pour écouter la musique! Malheureusement, pour celui qui comme aujourd’hui ne reste au chalet qu’un maximum de 15 jours ou même trois semaines, ces marmottes toutes proches n’ont pas le temps de s’habituer, et vont sans doute passer quelque temps dans d’autres terriers plus éloignés avant de revenir à leur place dès que le chalet est vide. Le cri de la marmotte est bien connu, il ressemble à un sifflement puissant. Chaque marmotte surveille en permanence les environs, au moins d’un coin de l’Ïil, mais parfois une marmotte est placée comme en sentinelle. L’avantage est que les marmottes préviennent quand un visiteur monte sur le chemin de Chanin. Mais elles crient également au passage d’un rapace ou d’un renard et les habitants du chalet qui sont sortis à ce signal cherchent en vain avec leurs jumelles un visiteur improbable.

Il arrivait parfois que malgré la chasse non ouverte, une marmotte soit prise volontairement avec un piège à mâchoires destiné normalement aux renards, disposé devant un terrier. Cela permettait d’avoir un apport protidique non négligeable. Le goût de la viande de marmotte n’est cependant pas très réputé, il paraît que seules les marmottes jeunes prises pas trop tard dans l’été sont bonnes, les autres, ont un goût terreux, ou bien sont trop graisseuses, à cause des réserves qu’elles accumulent afin de passer tout l’hiver en hibernation (dont elles détiennent d’ailleurs le record de durée pour les mammifères). La préparation d’un ragoût de marmotte est long car le dégraissage de la viande doit être parfait (la graisse a, parait-il, un goût rance), certains laissaient tremper ensuite la viande dans de l’eau afin d’en atténuer le goût prononcé de gibier. Il paraît aussi qu’il est possible, et certains l’on fait, d’apprivoiser un bébé marmotte, et que l’animal peut alors se montrer propre, affectueux et docile, tant qu’il ne se sent pas enfermé. Mais ce n’est pas tellement dans la mentalité de ces travailleurs savoyards de s’encombrer d’un animal de compagnie inutile…

Autre animal mythique de la montagne: le chamois. On en rencontre aussi dans les montagnes autour de Chanin. Quand on réside au chalet, il n’est pas rare d’en apercevoir un dans les pentes de Coirnavan, cherchant peut-être à aller se désaltérer à la source, ils peuvent aussi être dans les travers à l’est du Chalet, où ils ont peu de chance d’être dérangés de nos jours, ou bien être encore plus loin au delà du plan de la Gouille, où il se trouve des ravinements avec dans leur fond des herbages agréables, au lieu dit le Valney. Ces endroits, extrêmement éloignés de tout forment un lieu de résidence idéal pour ces animaux sauvages qui n’aiment pas être dérangés, certaines années, on a pu en voir là une harde de plus de 30 têtes jouant, broutant et se reposant dans le soleil du matin. Le chamois est chassé chaque année, mais de façon très contrôlée. Cette chasse demeure difficile car dans les régions où il est chassé, le chamois est très sauvage et s’approche difficilement. Le but de cette chasse est avant tout de ramener le prestigieux trophée avec ses cornes en crochets. La chair du chamois est relativement sèche, mais bien préparée, elle constitue un plat agréable (mais surtout recherché pour son origine).

Le lièvre fait aussi nombre des animaux particuliers des montagnes, non pas qu’il soit rare en plaine, mais en ce que le lièvre des montagnes est un lièvre variable, l’été il n’a rien de remarquable, mais l’hiver il devient tout blanc, afin de n’être pas visible sur la neige. Il est de fait que le lièvre se laisse rarement surprendre, sur la neige, on voit très nombreuses ses traces caractéristiques en forme de T, mais apercevoir un lièvre blanc est un plaisir considérable, mais rare.

Parmi les mammifères, on trouve enfin des animaux plus répandus, comme le sanglier dont on peut voir des traces de son « travail  » fait pendant la nuit jusque sous le chalet parfois, il parait même que ces sangliers de montagne passent les hauts cols de l’Infernet ou de Martignare pour se promener dans toute la montagne. Il n’est pas rare non plus d’apercevoir, ou d’entendre l’aboiement caractéristique du chevreuil dans les bois ou les arcosses en montant au chalet, ou de débusquer un renard en se promenant, et la montagne regorge sinon de toute sa population de rongeurs dont le mulot dont le trottinement léger et rapide agrémente souvent les nuits du dormeur dans un chalet, et de petits carnassiers depuis le loir jusqu’à l’hermine, ou la fouine qui habite souvent dans le chalet l’hiver (nous débarassant alors des souris…)

Quant aux oiseaux, il y a biens sûr les choucas, petits compagnons de tout montagnard, les lagopèdes nombreux, les buses tournant en l’air à la recherche de quelque mulot ou d’un bébé marmotte etc… La perdrix des neiges, caractéristique par sa robe de couleur variable comme le lièvre se trouve en nombre remarquable autour de Chanin, attirant les chasseurs dans cet endroit, on les croise souvent au printemps, lorsque voulant attirer sur elle le prédateur qu’elle pense voir dans un homme s’approchant, dégringole cocassement la pente comme si elle était blessée, afin que l’on ne remarque pas ses oisillons dans l’herbe d’où elle est partie. Le coq de bruyère, ou grand-tétras est devenu assez rare, mais toujours présent, quant à l’aigle royal, il a presque totalement disparu, très rare sont ceux qui ont pu avoir le privilège d’apercevoir ce rapace aux dimensions stupéfiantes.

Pour ce qui est des serpents, ils ne sont pas absents des alpages, vipères ou couleuvres. Il semble que dans certaines montagnes comme à Valloire, de l’autre côté de la crête où l’élevage a presque totalement disparu au profit du tourisme, le nombre de vipères ait grandement augmenté par rapport au temps où les bêtes pâturant la montagne étaient nombreuses. Cependant, à Chanin, il y a toujours eu des aspics, c’est à dire des vipères. Celles-ci ne causaient d’ailleurs pas de dommage au bétail, les uns et les autres sachant s’éviter mutuellement, mais elles peuvent néanmoins être un danger pour un flâneur imprudent.

Les insectes enfin ne sont pas très nombreux, à cause de l’altitude, quelques rares petites mouches parviennent néanmoins à s’élever en altitude, pas de guêpes, encore moins de frelons ni d’abeilles ni même de taons, (bien qu’on en subisse les assauts en montant vers le Besset). Quelques grosses fourmilières peuvent être vues en montant par le chemin, mais à la hauteur du chalet, il n’y en a plus… tout cela est un aspect assez agréable pour le touriste à Chanin.

Toute cette faune est pratiquement toujours silencieuse. Un silence total règne dans ces alpages en l’absence de troupeaux portant des clarines, contrairement à la campagne et à la forêt qui sont toujours bruissantes d’animaux et de l’effet du vent sur les arbres. Il n’y a qu’en cas de tempête que l’on entend le vent, la pluie, les échos du tonnerre sur les crêtes, et les chutes de pierres provoquées par le ruissellement des eaux dans les ravins de la pente du Mont Falcon de l’autre côté de Valfroide.

2. Histoire

2a. la mémoire

Les éléments permettant de reconstituer l’histoire d’un chalet en montagne sont très peu nombreux. Il n’y a en effet en général aucun écrit les concernant directement qui soient antérieurs au XIXe siècle et la mémoire des habitants actuels de la montagne ne leur permet pas, le plus souvent, de remonter plus loin. La tradition orale dans cette région de Saint Jean d’Arves s’est donc révélée très faible, (et il doit en être de même dans bien des régions de montagne). La plupart des savoyards qui sont encore sur la terre, ont aujourd’hui une vision très pragmatique et utilitaire de la terre qu’ils utilisent et des installations laissées par leurs ancêtres et se préoccupent peu de l’esthétique, et fort rarement de leur histoire. Cette attitude est d’ailleurs responsable aujourd’hui de la défiguration que l’on rencontre presque partout dans nos montagnes, soit à cause d’un développement anarchique en vue du tourisme ou du ski, en ne cherchant que la rentabilité à cours terme, soit par l’abandon pur et simple de maisons ou d’installations qui ne sont plus vraiment rentables aujourd’hui. C’est ainsi que beaucoup d’anciennes maisons sont transformées ou rénovées avec un mépris total du style de la région, en vue d’en faire des habitations pour touristes, des restaurants ou des magasins s’il y a une station proche, et d’autres purement abandonnées à la ruine si elles ne représentent pas un intérêt matériel immédiat.

C’est ainsi que la plupart des paysans interrogés ne savent de leur histoire que ce qu’ils ont vécu eux-mêmes, et parfois ce qu’ont vécu leurs parents, mais cela va rarement au delà. Par une enquête directe auprès des habitants, on arrive ainsi rarement à remonter avant la guerre de 14 pour avoir des renseignements précis sur le mode de vie. On peut avoir quelques éléments disparates dont ils ont entendu parler sur la fin du XIXe siècle, mais avant, l’histoire au sens propre s’arrête.

Les autres éléments peuvent être trouvés par le fait que Chanin est un alpage de montagne en Savoie, et ainsi son histoire appartient à l’histoire générale de cette région de montagne que l’on connaît sous bien des aspects dans son ensemble (démographie, mode de vie etc….) . Les documents cartographiques avant les cartes d’état major au 20 000 datant du début du siècle sont beaucoup trop imprécis pour donner le moindre renseignement, il reste donc la toponymie et les éléments que l’on pourrait appeler archéologiques: la trace du passé et de l’activité d’alors dans la nature elle-même.

Ce dont la mémoire humaine locale se souvient, et qui est confirmé par les cartes, c’est que le chalet actuel de Chanin était le plus bas de tout un groupe de chalets s’échelonnant sur cette arête entre 2200 et 2300m. La place de ces chalets a été gagnée en creusant la pente de la montagne, la terre étant retenue par des murs en pierre sèches. Le côté du chalet donnant sur l’aval est généralement construit en planches. La trace de tous ces chalets est encore visible par des vestiges plus ou moins importants des trois murs du fond adossés à la montagne constituant la ruine du chalet, avec à chaque fois une petite cave à environ deux ou trois mètres du chalet. L’on voit donc à peu près tous les 20 m d’altitude à partir du chalet restant actuellement, quatre ou cinq chalets isolés , et enfin sur le replat à 2300m un groupe de 6 ou 7 maisons toutes détruites également. Aucun de ces chalets n’a été utilisé après la deuxième guerre mondiale. La plupart ont même dû être démolis avant, et on peut penser que les chalets du haut n’ont guère été utilisés après 1920.

Il est difficile de savoir si ces chalets sont tombés d’eux-mêmes, ou s’ils ont été démontés, ne servant plus, afin de récupérer les matériaux, comme cela se faisait souvent. Aujourd’hui, en effet, les chalets tombent d’eux mêmes, et les matériaux ne sont pas récupérés, car leur transport serait trop difficiles. Tout le bois pourrit donc quand la structure finit par s’effondrer au milieu de la masure ne laissant subsister que les trois murs du fond. Mais autrefois le transport dans la montagne était plus habituel et aisé grâce aux mulets et les matériaux autres que la pierre plus précieux car façonnés à la main. Par conséquent un chalet inutilisé était démonté et les matériaux réutilisés, soit redescendus dans la vallée, soit pour consolider ou refaire un autre chalet proche. Il est probable que ce démontage ne se faisait pas tant que le chalet était en parfait état, mais il devait se faire dés que son état se trouvait nécessiter d’importantes réparations que le propriétaire ne voulait pas faire (n’ayant alors plus usage de son chalet), et avant que les matériaux soient abîmés et pourris par l’eau. Ainsi, avant les années 50, les chalets étaient toujours démontés, ce qui aujourd’hui se traduit par le fait que les restes de ces chalets sont exempts de tout débris, et on peut avoir une idée de leur ancienneté par l’état de ce qui reste des trois murs du fond. Pour les vestiges les plus anciens, il n’y a plus aucune pierre visible mais reste seule la dépression en forme de replat dans laquelle se trouvait le chalet (cela doit être tempéré par le fait que dans certains endroits où les pierres étaient difficiles à trouver, elles ont pu être, elles aussi, réutilisées pour un autre chalet, mais rarement transportées sur des distances vraiment importantes).

Pour ce qui est du chalet de Chanin restant actuellement, il a été refait plusieurs fois avec des matériaux provenant d’autres chalets de plus haut. Le dernier chalet d’au dessus, tombé, a du être racheté par le propriétaire dans les années 60 pour en récupérer les matériaux. Une partie a été utilisée directement alors pour la dernière rénovation du chalet, le reste a été remisé dans la grange en vue d’une hypothétique utilisation future.

De toute manière, la réutilisation de matériaux était une pratique extrêmement courante, étant donnée la difficulté qu’il y avait de monter des charges depuis la vallée. Mais la rareté même des matériaux encourageait à redescendre des matériaux inutilisés dans la vallée, en effet il était fort pénible de scier à la main des troncs pour en faire des planches, quant aux clous ils n’étaient achetés que si les finances le permettaient. La multiple réutilisation des matériaux s’est trouvée maintes fois confirmée lors du démontage du chalet en 1992 en vue de sa reconstruction. d’abord les liteaux qui servaient à tenir les tôles sur le toit étaient souvent des planches assez fines comportant deux rainures sur un des plats, prouvant qu’elles avaient été utilisées avant comme bardeaux pour couvrir le toit (les tôles sont apparues sur les chalets en remplacement des bardeaux aux alentours de la guerre de 14), mais il pouvait s’agir là d’une réutilisation interne au chalet, ensuite sur bon nombre de chevrons des trous à l’emplacement de chevilles prouvant qu’ils avaient déjà servis dans une autre charpente du temps où elles étaient montées sans l’usage de clous. La datation est alors là difficile: les clous forgés, coniques, ont été normalement utilisés à partir du XIXe siècle, avant l’ère industrielle de la fin de ce siècle où apparaissent les clous tels que nous les connaissons, mais la région pouvait avoir un retard tel que des charpentes chevillées soient encore utilisées vers le milieu ou la fin du siècle dernier, et des clous forgés encore faits par un forgeron local jusque dans les années 20.

Pour ce qui est des alpages en dessous de Chanin, le premier chalet connu par la mémoire locale et par les cartes et celui de l’Arcosse (1950m) encore utilisé dans les années 50 et qui a du tomber sans être démonté dans les années 60. Mais une mazure avec ses murs est encore très facilement visible 20 ou 30 mètres plus haut sur l’arête, et un autre emplacement de chalet sur la même arête à 2000m est visible sans que personne n’en ait le souvenir. A cette même altitude, se trouve aussi une autre dépression juste contre le virage du chemin après la traversée des arcosses, avant le lieu dit  » les voûtes « , prouvant qu’il y a eu là il y a fort longtemps (plus de 100 ans) une construction unique, mais il ne s’agissait pas forcément d’un chalet d’alpage complet, mais cela pouvait être une de ces nombreuses  » cabottes « , petites maisons, ou cabanes servant à abriter le foin et les faucheurs à l’époque où toute cette montagne était fauchée, et le foin stocké sur place avant d’être redescendu dans la vallée pour l’hiver.

Il y avait toute une série de ces cabottes dont on a encore mémoire le long du chemin du Révi qui parcourt à mi pente tout le travers fort pentu (proche de 45°) qui se trouve à une altitude proche de 2000m entre l’arête de Chanin et le torrent de Valfroide, chemin allant du Mollard du Bois à la Fardelière. Ces travers ont été tous fauchés pendant le XIXe siècle lorsque la montagne était surpeuplée, et c’est alors que ces Cabottes ont dû être construites. Elles étaient souvent disposées à l’emplacement des « reines  » (sortes de synclinaux perchés qui se trouvent à plusieurs exemplaires, parallèles entre l’arête de Chanin et le torrent de Valfroide). Les cabottes ont dû être abandonnées avec la pratique de fauchage intensif juste après la guerre de 14, et il n’en reste aujourd’hui que les traces plus ou moins importantes de leurs mazures.

Cependant, la pratique du fauchage en alpage a encore existé autour du dernier chalet de Chanin jusque dans les années 60. C’était alors les pentes relativement douces se trouvant entre Chanin et l’Arcosse qui étaient fauchées. Le foin coupé là avait la réputation d’être d’une excellente qualité, supérieure à celui coupé dans la vallée, il était lié en  » barillons  » qui étaient rassemblés à dos d’homme jusqu’à un endroit appelé  » le chargeur  » qui se trouve sur le chemin de Chanin, à la sortie des arcosses vers 2100m, puis redescendu dans la vallée à dos de mulet (un barillon de 30 ou 40 kilos de chaque côté du bâts). Une partie du foin pouvait être stockée provisoirement dans la grange du chalet avant d’être redescendue à un moment où il y avait plus de temps disponible pour le faire, et une partie du foin restait dans la grange même du chalet. Ce foin servait pour le bétail afin de le nourrir la nuit (les vaches restaient la nuit dans le chalet entre les deux traites) ou pour les jours où les trop mauvaises conditions météorologiques empêchaient de les faire sortir dehors (neige en particulier).

2b. les câbles

Dans les années 20 est apparue dans toute cette région une technique nouvelle pour descendre le foin vers les maisons des vallées: le câble. Un câble pouvant faire mille mètres de longueur était tendu entre deux points d’une dénivellation pouvant aller jusqu’à 200 ou 300 mètres. Tous les hommes du village de rassemblaient pour tendre ce câble préalablement déroulé par terre. Des poulies spéciales munies d’un crochet permettaient d’y suspendre un barillon d’une quarantaine de kilos, qui descendait avec un sifflement caractéristique jusqu’en bas où se trouvait un système pour faire dérailler la poulie afin que son chargement tombe par terre. Le foin était alors transporté dans la grange, les poulies récupérées avec les barres de barillons, et remontées à dos de mulet au chalet pour le lendemain. Certains de ces câbles arrivaient même dans la grange elle-même de l’habitation, évitant ainsi une manoeuvre. Un nombre important ce ces câbles ont été installés avant la guerre, à tel point que par endroit il y avait un réseau important, et qu’il pouvait arriver que certains se croisent en étant non loin l’un de l’autre. Deux barillons lancés en même temps pouvaient alors se rencontrer, faisant s’emmêler les câbles. Il fallait alors un courageux pour s’aventurer sur le câble assis sur un siège suspendu à une poulie et retenu par des cordes par d’autres au départ du câble. Il avait la difficile tâche de démêler les câbles avec le risque des câbles qui se détendent avec un mouvement important au moment où ils sont libérés l’un de l’autre. Cela, bien sûr était rare, mais ceux qui l’on vécu s’en souviennent encore bien!

De Chanin même, il n’y a jamais eu de câble, il y en avait néanmoins un qui partait du chalet de l’Arcosse (à 1950m), descendant jusqu’aux Ramées (à 1660m), puis le foin était transporté par un mulet sur la partie relativement horizontale du chemin contournant Monzard pour retrouver un autre câble au Besset (1650m) qui descendait jusque dans le fond de la vallée près de la route à 1350m. Il fallait alors encore remonter ce foin jusqu’au Villard qui était le village d’habitation principale des utilisateurs de Chanin à 1500m. Cela peut certes sembler compliqué, mais l’usage du câble permettait néanmoins, même dans cette situation défavorable de presque doubler la quantité de foin descendue dans une journée. En effet, un mulet mettait plus de 2h 1/2 pour aller du Villard à Chanin, et à peu près autant pour en revenir. Un seul mulet pouvait difficilement faire deux fois le trajet dans la journée, il pouvait donc ramener de 60 à 80 kilos de fois par jour. Avec le câble cette quantité pouvait être doublée facilement.

Les câbles de Chanin sont aujourd’hui démontés. On les voit encore par terre traversant le chemin du Révi ou montant vers l’Arcosse. Mais dans d’autres endroits, certains ont été utilisés jusque dans les années 80. Il en reste encore aujourd’hui un nombre non négligeable qui sont en place même s’ils ne servent plus, mais leurs propriétaires les démontent de plus en plus à cause de la responsabilité qu’ils auraient à supporter au cas où ils causeraient un accident (les attaches rouillent et les tambours qui avaient servi à les tendres sont en bois et pourrissent). Cela est compréhensible, mais regrettable, en effet, ces câbles existant ne sont pas interdits, mais on ne pourrait plus avoir l’autorisation d’en tendre un nouveau où même d’en retendre un qui est tombé. Il est vrai que ces câbles présentent un risque non négligeable pour la navigation aérienne, et les hélicoptères en particulier qui doivent toujours être très prudents dans ces régions là.

2c. Les traces d’anciens chalets

Au sommet des voûtes du Mottet se trouve aussi les vestiges d’une habitation (à 1920m) dont on voit encore bien les pierres et sa structure double d’une maison principale à la quelle en est adjointe une plus petite ou cave, prouvant qu’il devait y avoir là un chalet complet probablement détruit au début du siècle ou juste après la première guerre mondiale.

Il faut enfin citer le plus proche voisin du chalet de Chanin qui est le chalet de Coirnavan à 2190m sur la pente d’herbe parallèle à l’arête de Chanin, juste séparée d’elle par le ruisseau intermittent de Coirnavan dans lequel se trouve la source de Chanin. Cette maison est aujourd’hui détruite, et remplacée par un abris en tôle placé entre les trois murs restant, elle était selon le plan habituel de la maison principale avec sa cave séparée, elle a été utilisée jusque probablement dans les années 50 et est tombée puis démontée dans les années 60.

Il est fréquent de trouver dans la montagne des lieux où se sont trouvés avec évidence un chalet dans les temps anciens, mais dont personne n’a le souvenir. Les indices de cette présence sont un replat dans la pente avec une légère dépression, et les inévitables grosses feuilles vertes de rhubarbe sauvage que l’on retrouve systématiquement autour des chalets. Cette végétation semble être due à l’hyperpâturage, ou à une qualité particulière de la terre due au déversement continuel du fumier devant le chalet, et on ne la trouve pour ainsi dire jamais à l’état naturel à un endroit où il n’y a, par évidence, jamais pu y avoir de chalet. Or on se rend compte qu’une fois que ces grosses feuilles ont pris possession d’un terrain, elles peuvent y rester extrêmement longtemps, et on les retrouve presque toujours, même à l’emplacement de chalets disparus depuis longtemps. Ces rhubarbes ont même une mémoire bien plus longue que celle des habitants des montagnes, continuant de témoigner de la présence passée d’un chalet dont tout le monde a oublié l’existence. En tenant compte de tous ces indices, on trouve qu’il y a dans la montagne en général un nombre considérable d’emplacements de chalets, correspondant à peut près à 5 ou 10 fois le nombre de chalets aujourd’hui visibles. En Chanin, cette proportion est moindre, disons que par rapport aux chalets dont on sait qu’ils ont existé au début de ce siècle, et que l’on peut dénombrer aux alentours de 10 au dessus et au dessous du chalet actuellement restant, on trouve environs la trace d’encore 5 ou 6 autres chalets. Mais il ne faut pas conclure que tous ces chalets ont existé un jour en même temps. Il est fort possible et même probable que certains chalets ont disparus à une époque, et que d’autres ont été reconstruits à une autre époque ailleurs.

En fait, l’utilisation de chalets d’alpage répondait à une nécessité bien précise: le manque de terres dans les lieux plus bas et mieux accessibles. Ce n’est donc que lorsque les terres n’étaient pas suffisantes en bas pour nourrir tous ceux qui vivaient dessus qu’il fallait aller chercher des terres plus éloignées. Lorsqu’en effet, les familles devenaient plus nombreuses, il fallait avoir plus de bêtes, donc plus de prés pour les faire pâturer, et plus de prés à faucher pour avoir de quoi les nourrir l’hiver. Certes, l’exploitation d’un alpage demandait beaucoup de main d’oeuvre, pour garder les bêtes qui y pâturaient , y traire les vaches laitières, et ensuite redescendre le fromage et le beurre, mais il en fallait plus encore quand il s’agissait d’y faire les foins, avec une herbe relativement rare, en tout cas beaucoup moins haute que dans la vallée, fauchée entièrement à la main, puis descendue barillon par barillon dans la vallée. Mais dans les périodes de surpopulation de la montagne, on avait de la main d’oeuvre, les famille étant nombreuses. On peut donc penser que le nombre de chalets dans les alpages a toujours été à peu près en proportion du nombre de la population habitant dans les vallées. Or, ce nombre ayant fluctué, il est certain que le nombre de chalets a fluctué aussi. Quand la population devenait plus nombreuse, on devait chercher à exploiter des terres plus lointaines, et donc construire de nouveaux chalets, et quand la population se réduisait pour une raison ou pour une autre, les chalets devaient être abandonnés (en effet, entretenir un chalet demande de la main d’oeuvre, et entretenir un chalet qui ne sert à rien n’est pas dans la mentalité pragmatique savoyarde). Or un chalet non entretenu, étant donné le mode sommaire de construction (bois et pierres sèches), et les conditions climatiques particulièrement rudes se dégrade très vite et finit par tomber, dans les meilleurs des cas, il ne faut guère pour cela plus de quarante ans.

Les savoyards d’aujourd’hui se souviennent encore d’avoir entendu parler de la construction de chalets neufs dans la montagne. Pour cela, tout le village, ou plusieurs familles s’y mettaient de façon à ce qu’il puisse être construit rapidement après la période des foins, aux environs du mois de septembre. Grâce à cette collaboration, le problème du transport était aussi résolu par le grand nombre de mulets montant sans cesse les matériaux. Sans compter les pierres, il faut près de 15 à 20 tonnes de matériaux, et 20 mulets faisant chacun deux aller et retour dans la journée montent cela en 5 jours. Les grosses poutres étaient montées à dos d’homme: une grande cheville passée à chaque extrémité pouvait permettre à quatre hommes de porter une poutre, deux devant et deux derrière tenant son extrémité de cheville au niveau de l’épaule, devant le cou. Ainsi, la construction elle-même pouvait être faite en un mois avec une dizaine d’hommes expérimentés.

Il est probable que le plus souvent il devait s’agir de reconstruction, s’il existait déjà un emplacement de chalet quelque part, il était avantageux de le faire à cet endroit. D’abord parce que les bons endroits restent des bons endroits, et ensuite parce que l’on évite ainsi les travaux de terrassement préparatoires. Mais rien n’empêche que des lieux de chalets aient été abandonnés au profit de lieux neufs, tout simplement parce que le découpage des propriétés des parcelles de montagne a du évoluer par les partages, les alliances les achats ou les ventes selon la réussite ou la régression de telle ou telle famille, et un chalet avait intérêt à être situé au milieu de la zone de terrain utilisée. Certains à quelque moment de l’histoire pouvaient avoir plus de terre par rapport aux nombres de bouches à nourrir, et chercher à se rapprocher de leur village, d’autres au contraire, pour répondre à un développement trop rapide de leur famille obligés à une époque de s’éloigner.

Or l’on sait que la démographie de la Savoie a connu un certain nombre de fluctuations, et en particulier, un pic très important au cours du XIXe siècle, où la population s’est trouvée en 50 ans multipliée un facteur allant de 2 à 5. Il est donc évident que c’est à cette époque que s’est trouvée l’âge d’or des chalets d’alpage et comme il y a eu un besoin considérablement accru de chalet d’alpages au XIXe siècle, et ce à un degré unique dans toute l’histoire de la Savoie, il est évident qu’il y a eu à cette époque des créations de toute pièce de nouveaux chalets, sur des emplacements neufs.

2d. La datation des chalets

Il est très difficile de dater véritablement un chalet. En effet, par le double facteur des conditions extrêmes auxquelles ces chalets sont soumis et de leur grande fragilité, les chalets sont sans cesse réparés, refaits, voire même reconstruits lorsqu’une bourrasque trop importante, une avalanche ou un incendie l’avait en tout ou partie détruit. Par conséquent, même si un chalet est très ancien, on ne pourra jamais dire qu’un chalet, tel quel date du XVIIe ou du XVIIIe siècle. La situation est donc bien différente des bâtiments qui se trouvent dans les vallées, où les maisons sont plus résistantes, mieux construites et moins exposées, on trouve de telles maisons avec des pierres gravées témoignant de la date de leur construction.

Pour dater un chalet, il reste néanmoins quelques éléments extérieurs: la toponymie, l’orographie de son site et du chemin qui y mène, et l’architecture.

La toponymie peut en effet donner de précieuses indications. Il y en effet deux catégories de noms: ceux qui aujourd’hui encore veulent dire quelque chose, en français ou en patois, et ceux dont plus personne ne sait ce qu’ils signifient. Un nom trop clair pour un chalet plaide en général peu pour son ancienneté. Par exemple: l’Arcosse, près de Chanin fait simplement référence à la végétation abondante d’arcosses qui se trouve près du chalet, ou de l’autre côté de Valfroide, Le Col indique simplement la situation du chalet dans la montagne, de même que le Mollard du Bois fait référence au petit replat se trouvant dans la forêt où a été construit ce chalet.

Des noms moins explicites indiquent qu’il est question d’un lieu que l’on désigne ainsi depuis suffisamment longtemps pour que la mémoire en ait oublié l’origine, qu’une évolution ou une déformation du mot ait rendu son origine difficilement reconnaissable, ou encore que son étymologie ne soit plus française ou patoise (plus ou moins apparenté à l’italien) mais clairement latine.

C’est le cas de Chanin dont le nom n’évoque rigoureusement rien pour un savoyard d’aujourd’hui, et dont l’étymologie semble être le bas latin Calamis qui désignait le champ, le pâturage. On trouve d’ailleurs dans nos montagnes de nombreux noms de lieux qui dérivent de ce mot: La Chal, la Chaumette, la Calmette, les Chalmieux, la Chalme etc… Et ici, l’étymologie nous donne un élément de plus: non seulement le nom remonte au latin, c’est à dire au bas moyen -âge, mais en plus il indique qu’à cette époque, les terres de Chanin étaient déjà utilisées comme pâturage, et même définies comme telles. Le fait qu’un chalet ait un nom avec une origine latine ne suffit pas, en effet, à prouver qu’il est utilisé depuis le moyen-âge. En effet, beaucoup de chalets ont pris simplement le nom par lequel on désignait le lieu où il a été construit, et ce nom peut être beaucoup plus ancien que le chalet. Le Chalet de La Saussaz, par exemple s’appelle ainsi parce qu’il est à proximité du torrent que l’on désigne sans doute depuis toujours ainsi. Il peut en être de même de Coirnavan: il n’est pas nécessaire qu’il y ait un chalet là pour que le lieu où il se trouve soit désigné par ce nom.

Ainsi l’étymologie de Chanin indique qu’il s’agit d’un pâturage extrêmement ancien, datant d’un millier d’années au moins. Et étant donné l’éloignement de cette terre par rapport aux villages de résidence, il est évident qu’il y a eu depuis ce temps une ou des habitations en Chanin pour les mois d’été.

L’orographie peut aussi fournir de précieux éléments. D’abord au niveau de l’endroit-même du chalet. Lorsque l’on construit un chalet neuf, on ne cherche pas à priori à faire des travaux de terrassements extrêmement importants. C’est donc le minimum qui est fait de façon à ce que le chalet trouve sa place et que l’on puisse circuler autour. Ensuite, au cours des années d’usage, deux phénomènes peuvent se produire: d’une part, les utilisateurs du chalet peuvent chercher progressivement à agrandir cet espace autour du chalet: et d’autre part, tout le fumier sorti année après année et déversé devant le chalet finit par s’accumuler pour former un talus important. Par conséquent: un chalet qui est implanté dans un endroit où il ne semble pas y avoir de modification importante de la courbe naturelle de la pente n’est certainement pas très ancien, et à l’inverse, un usage pluriséculaire d’un chalet laisse nécessairement des traces. (Encore que ces traces s’estompent progressivement si le chalet est détruit depuis plusieurs années).

Le dernier chalet de Chanin est dans ce cas. L’emplacement du chalet est considérable, et les ruptures de pente autour du Chalet sont importantes, supposant, s’il fallait les faire artificiellement de déplacer des mètres cubes et des mètres cubes de terre. Il est à remarquer de plus que le chalet ayant été agrandi d’une travée (3m 50) vers l’avant juste après la guerre de 14, il a fallu qu’il y ait devant le chalet la place pour le faire. Il est en effet peu probable que les constructeurs aient alors choisi de faire un terrassement d’une telle taille au dessus d’une pente abrupte. Le bon sens demande donc que ce soit au cours des siècles que les quantités de fumier sorties quotidiennement aient fini par créer un espace devant le chalet donnant finalement l’idée et la possibilité de le rallonger. (Cela a d’ailleurs des conséquences néfastes, puisque l’avant du chalet étant construit sur une terre peu stable, il continue de s’enfoncer entraînant des mouvements dans la partie avant du mur oriental, étant sans doute la cause de la destruction de ce pignon peu après 1970).

Si l’on observe maintenant de la même manière les chalets qui se trouvent au dessus, on se rend compte qu’il n’y a rien de semblable pour les quelques uns juste au dessus sur l’arête, ils se trouvent dans la pente avec tout juste un creux pour leur construction, en général bien plus courte que celle du Chanin actuel. Quant au groupe de chalets situés les plus hauts, il est difficile d’affirmer quoi que ce soit, car ils se trouvent sur un replat naturellement vaste. On peut juste se demander se ce replat n’aurait pas du l’être encore plus si 5 ou 6 chalets avaient été en activité pendant un millénaire.

L’orographie peut ensuite donner des éléments très importants avec l’observation des chemins qui mènent aux chalets. En effet, un chemin relativement neuf a plusieurs caractéristiques: il est peu marqué ou creusé, il a peu de variantes, et il a un tracé artificiel et rationnel. C’est le cas, en particulier, du chemin menant au chalet de Coirnavan: les lacets sont peu profonds en regard de ceux de Chanin, et ils forment un zig zag régulier géométrique et systématique sur sa langue d’herbe. Le chemin de Chanin est tout le contraire. Il est tout d’abord extrêmement creusé: dans les voûtes (lacets) sous Chanin, certains endroits sont enfoncés de près de deux mètres, or on n’imagine pas quelqu’un s’amusant à faire cela artificiellement. L’explication, c’est que c’est le temps qui avec l’aide d’un passage répété de bétail, et avec celle du ruissellement de l’eau qui a progressivement retiré ces tonnes de terre et de roche pour en faire un chemin creux. Ensuite le tracé semble ne répondre à aucune logique, les lacets ne sont pas réguliers (même si la pente est, elle, régulière), un esprit du XIXe siècle ne l’aurait pas tracé ainsi. Il faut donc penser que l’origine du tracé du chemin remonte à la nuit des temps. (Une illustration de ces deux types de chemins se trouve juste avant d’arriver au chalet. A cet endroit le chemin actuel passe sur une butte allongée avec toujours ce tracé erratique. Or on peut voir à certaines saisons les vestiges d’une variante qui passe dans le fond du vallon longeant cette butte. Mais la trajectoire géométrique de cette variante laisse penser qu’elle est relativement récente et que c’est bien celle qui est aujourd’hui utilisée qui est la plus ancienne).

Ensuite, un autre phénomène (qui peut d’ailleurs contribuer à expliquer cette irrégularité), est constitué par les boucles de chemin qui ont dû être abandonnées. Cela est particulièrement visible dans les voûtes du Mottet. Par le jeu de la solifluction, par endroit, la montagne « coule », et ainsi, certaines épingles à cheveux descendent et finissent pas être trop bas pour être utilisables. Une nouvelle est alors créée plus haut. Dans le Mottet, on voit clairement certaines voûtes extrêmement marquées du côté de l’est, se trouver un mètre ou deux plus bas que le chemin, et cela n’a pu se faire en moins de plusieurs siècles.

Le chemin de Chanin est ainsi un des meilleurs témoignages sur la grande ancienneté de l’utilisation de ces pentes comme alpage. Il tend aussi à faire penser que c’est le chalet du bas qui est le plus ancien, puisque le chemin n’est véritablement bien marqué que jusqu’à lui. Ensuite, on ne retrouve que de très légers vestiges de chemin par endroits. De même, le chemin qui monte à la Gouille, mare artificielle permettant de faire boire le bétail à 2370m n’est vraiment marqué qu’à partir du chalet du bas. Le chemin partant de ce chalet est encore bien visible, il fait quelques lacets sur l’arête puis part à flan de coteau vers le ruisseau de Coirnavan. C’est à ce moment que le chemin se sépare en deux: la partie qui reste sur l’arête pour aller vers les chalets du haut est devenue presque invisible. Le Chemin à flan de coteau est lui encore bien marqué. A un moment donné, un autre chemin partant des chalets du haut le rejoint horizontalement, et celui-ci est également très peu marqué. Cela est cependant un élément plus qu’une preuve, il subsiste la possibilité d’un doute, en effet, le piétinement lors du pâturage des bêtes a pu dégrader considérablement des chemins alors non utilisés, et le chalet du bas a été utilisé pendant près de 30 ans alors que les autres ne l’étaient plus. Cet usage a pu contribuer à continuer de marquer les chemins concernant ce chalet tout en dégradant les autres.

Un dernier élément concernant l’emprise du chalet sur le terrain où il est construit peut être fourni par la végétation. Nous avons vu en effet que l’utilisation d’un chalet produit à la fois un sur pâturage dans sa proximité et d’autre part un déversement de matières organiques qui modifie considérablement la nature de la terre à ces endroits. Il s’ensuit que la végétation change pour laisser la place à une variété de rhubarbe sauvage abondante et envahissante, très caractéristique. Cette rhubarbe peut rester plus d’un siècle après qu’un chalet ait été démoli. On trouve même dans certains endroits, par exemple sur la Tranchée, pente d’herbe permettant d’accéder au col de Martignare à partir du ravin de la Saussaz, ces grosses feuilles vertes, avec au sommet la dépression caractéristique de l’emplacement d’un ancien chalet, et cela à plusieurs reprises, mais personne ne se souvient de ces chalets, et Whymper qui est passé par là en 1880 n’en parle pas alors qu’il mentionne tous les autres chalets. Il est loin d’être absurde de penser qu’il y ait eu là des chalets à une époque. Il s’agissait en effet d’un passage très important, utilisé depuis toujours, reliant les vallées des Arves à celle de La Grave, et s’il ne s’agissait pas de véritables chalets d’alpage, il pouvait s’agir de chalets permettant aux troupeaux de faire étape dans leur traversée du col pour se rendre de la Grave à Saint Jean d’Arves (cela peut paraître curieux aujourd’hui, mais Saint Jean d’Arves avait plus de relation avec la Grave qu’avec la vallée de la Maurienne, et l’architecture est témoin de cette relation privilégiée)

Il est probable, par ailleurs que la longévité de cette rhubarbe après la destruction du chalet correspondant dépende de la durée pendant laquelle ce chalet a été exploité. Un chalet exploité pendant quelques décennies laissera derrière lui cette végétation caractéristique, mais quelques décennies suffiront aussi à ce que la terre soit épuisée des substances permettant leur développement, et qu’elle soit rincée, devant laisser la place à une végétation plus habituelle. Bien sûr, cela ne peut être un critère absolu, sans doute peuvent entre en compte des paramètres d’exposition, de nature de terrain plus ou moins favorables, et que dans certains endroits elles puissent demeurer plus facilement que dans d’autres, mais c’est un élément parmi d’autres.

En ce qui concerne Chanin, on trouve peu de ces feuilles autour des chalets qui existaient sur l’arête au dessus du chalet actuel, alors qu’elles y sont là très abondantes, cela ne plaide une fois de plus pas pour la grande ancienneté de ces chalets supérieurs.

Le dernier élément objectif pouvant donner des éléments de datation d’un chalet est son architecture. Cet élément n’est pas très facile à utiliser, car, comme nous l’avons vu, les chalets passaient leur temps à être réparés, voire à être détruits et reconstruits, ne laissant que peu de chose de la construction originelle. Ainsi, les charpentes, si elles comportent de très nombreux éléments anciens, c’est en général par réutilisation de vieux matériaux, la structure de la charpente a pu être modifiée. Ainsi, à Chanin, la charpente a la particularité assez rare d’être à simple panne sablière, alors que tous les chalets de la région sont à double panne, l’une posée sur le mur de pierre, portant les entraits, et une autre sur ces entraits parallèle à la première pour supporte les chevrons. Mais on ne peut savoir s’il s’agit là d’une structure archaïque, reproduite à l’identique lors des reconstructions partielles, ou s’il s’agit là de répondre à un soucis d’économie afin d’avoir à monter moins de bois importants.

Ce qui demeure, par contre, à travers les siècles, et qui traverse les restaurations successives, c’est le plan au sol. Or, le chalet de Chanin actuel a dans ce domaine une particularité unique, par rapport à tous ses voisins. Toutes les traces de chalets à Chanin, montre qu’ils s’agissait toujours, ainsi que c’est l’usage le plus fréquent dans la région d’une habitation principale comportant la cuisine et l’écurie, et d’une « cave », construction plus petite juste à côté de l’autre, mais séparée de celle-ci. Or le Chanin actuel n’a pas de cave séparée, elle est collée au chalet en forme d’appentis. très fortement creusé dans le sol et dans le roc. Cela ne veut pas dire en soi qu’il soit plus ancien, mais le fait qu’il ait un plan de construction différent, fait penser qu’il ne date pas de la même époque que tous les autres. Or, comme il est certain que la grande majorité des chalets ont été construits de toute pièces au XIXe siècle, s’il y en a un qui est différent, c’est très probablement lui qui est le plus ancien.

Une autre particularité du plan de Chanin est qu’il n’avait pas de cuisine séparée de l’écurie. On sait en effet que la cuisine actuelle a été construite en rallongeant le chalet au début de ce siècle. Or, le plan le plus habituel pour les chalets d’alpage est le suivant: le faîte du chalet étant dans le sens de la ligne de plus grande pente, il y a une petite « cuisine » servant d’habitation dans la partie du chalet qui est vers l’amont, et l' »écurie » prenant les 3/4 du chalet est vers l’aval. Cette disposition avait tout simplement l’avantage que la (ou les) rigole centrale de l’écurie collectant le fumier pouvaient aboutir directement à l’extérieur du chalet à son extrémité et être évacuées ainsi sans fatigue (a). Il est possible que ce fut aussi le cas à Chanin avant sa modification, ou plus probablement que la partie d’habitation soit seulement un simple coin dans l’étable, simplement matérialisé par une rambarde ou un cloison ou un caillebotis à hauteur d’homme (b). Mais la cuisine neuve étant construite devant, la rigole ne pouvait plus accéder à l’extérieur, contraignant à la vider manuellement quotidiennement à l’aide d’un brancard ou d’une brouette (c). Cependant, il pouvait arriver que le chalet soit disposé dans une pente si forte que la partie amont du chalet est complètement enterrée, et qu’elle soit ainsi inaccessible. Dans ce cas, si le chalet était très important (ce qui était rare en altitude), l’avant du chalet pouvait être séparé en deux, l’une pour l’habitation, l’autre pour les bêtes, où bien on voit dans certains cas une rigole à purin qui passe sous la cuisine, enterrée, ou fermée par des dalles (d). (Le Chalet de la Saussaz à 2003m mettait en place lui une autre solution, unique dans toute la vallée: le chalet étant très grand et dans une pente importante, il était à deux étages: l’écurie tout en bas, avec son accès à l’aval du chalet, et la cuisine, de grande taille au dessus. La partie amont du chalet à l’étage de la cuisine servait de cave, ou pour la fabrication du fromage, avec une petite écurie pour les chèvres. Une espèce de cheminée faite avec quatre planches traversait tout le chalet pour permettre de faire descendre directement le foin de la grande à l’écurie, deux étages plus bas. Ce chalet a malheureusement été détruit par le souffle d’une avalanche en 1985.)

Dans le cas de Chanin, la particularité est donc qu’avant son allongement, il n’y avait pas de cuisine séparée, mais une seule porte pour les humains et pour le bétail. Un tel plan se retrouve dans des chalets pourtant moins rustiques que Chanin parce que plus accessibles comme au Vallon (à 1850m). Il est probable qu’il n’y ait même pas eu alors de véritable séparation entre la cuisine et l’écurie, autre qu’une barrière, un rideau…. et encore. Il est clair que cette installation est très archaïque, même pour le XIXe où une famille ayant une relative aisance cherchait déjà à séparer les hommes des bêtes. Cet élément est un élément de plus pour l’ancienneté du chalet de Chanin.

Il s’ensuit de tous ces éléments de réélection que le chalet restant de Chanin a probablement une origine plus ancienne que les autres, et qu’il est même sans doute à l’emplacement du plus ancien chalet ayant été construit au courant du moyen-âge dans cet alpage éloigné, certes, mais privilégié par ses qualités d’exposition et de terre.

Un ultime élément pour affirmer cela, est l’emplacement de la source. Un point d’eau est évidemment d’une extrême importance pour la vie dans la montagne. Certes, il est possible, et dans certaines régions cela se fait, de vivre grâce à une citerne recueillant l’eau du toit, mais pour que cette eau soit potable et suffisante, il faut que la citerne soit immense et que cela soit fait avec beaucoup de soins pour suffire à l’usage de la famille et du troupeau (voire du potager). Dans la région des Arves, les sources sont suffisamment nombreuses pour que l’on n’ait pas à chercher cette complication. Il y avait bien, et il y a toujours à Chanin un système permettant de recueillir l’eau du toit, par un cheneau jetant l’eau dans un grand tonneau à demi enterré, mais cette eau n’était pas utilisée pour les humains. Seulement pour laver, ou éventuellement, si les pluies n’étaient pas trop anciennes pour que l’eau soit restée propre, pour le bétail.

Or, sur le territoire de Chanin, il y a une seule source qui se trouve juste contre le ruisseau de Coirnavan. On accède à cette source à partir du chalet actuel de Chanin par un chemin de 500m de long en dévers, descendant de 10 ou 20 mètres. Elle est réputée dans toute la vallée pour son bon goût et sa fraîcheur, mais il se peut que cette appréciation soit en partie due à la fatigue du promeneur ou du chasseur qui, arrivant à Chanin après trois heures d’ascension et mille mètres de dénivelée, apprécie tout particulièrement cette bonne eau fraîche qui le désaltère. Son débit est toute l’année tout à fait honorable, permettant d’obtenir 10 litres en moins d’une minute au début de l’été, et en trois ou quatre fois plus de temps à la fin d’un mois d’août particulièrement sec.

Or, s’il faut bien 5 minutes du chalet actuel pour aller à la source (et un peu plus pour en revenir chargé), celle-ci se trouvait beaucoup plus loin des autres chalets. Il y avait, des chalets supérieurs à 2300m un chemin descendant en zig zag pour aller à cette source, mais il fallait alors sans doute au moins 20 mn pour revenir de la source au chalet. Il y a bien mémoire d’une autres source, plus haute dans le ravin de Coirnavan, mais qui avait un débit extrêmement faible, et qui ne coulait même plus en août. Il semble donc effectivement logique que le premier chalet de Chanin ait été construit le plus près possible de la source, et qu’il n’y avait aucun intérêt à se mettre plus haut si la place du bas était disponible. On peut donc penser sans grand risque de se tromper que le chalet actuel de Chanin qui est le plus bas de Chanin et qui se trouve presque exactement à l’horizontal de la source est bien le plus ancien de tous. (D’autant que le chemin qui mène des Chanin du haut à la source ne comporte pas les critères d’une grande ancienneté que nous avons décrits: il est géométrique, rectiligne, peu marqué et sans variante. Le Chemin horizontal de Chanin au contraire, par l’effet d’une solifluction séculaire est sinueux et irrégulier, montant et descendant, et a dû laisser des variantes abandonnées au dessous de lui quand la terre avait trop modifié son cours.)

L’isolement relatif de cette région de Saint Jean d’Arves se manifeste dans l’architecture. Le premier point est le revêtement des toits des chalets avec des grandes planches d’environ 2m sur 20 cm (les bardeaux), ou plus rarement avec du chaume ou de lourdes pierres plates de 70 sur 40 cm. Ce type de revêtements ne se trouve pas ailleurs en Maurienne, mais seulement dans les Hautes Alpes. Les bardeaux ne sont pas emboîtés comme du parquet, mais ils sont simplement cloués bord à bord sur de forts chevrons, un peu comme des tuiles, de sorte qu’il y ait toujours au moins 2 épaisseurs de bardeaux. Sur la face supérieure du bardeau deux rigoles courent sur toute la longueur afin de guider l’eau de ruissellement et de l’empêcher de couler dans l’espace entre les bardeaux. Si les charpentes des granges dans les villages sont souvent remarquables par l’intelligence et l’habileté de leur construction, la charpente du chalet d’alpages se caractérise par sa simplicité et pas le surdimensionnement de ses éléments.

La façon de construire les portes et les volets présente également une originalité par rapport à celle d’endroits moins isolés. Le principe de base est d’assembler des planches verticales en les clouant sur deux planches horizontales de la largeur de la porte. Même si des efforts de décoration (au village) ou de protection (en altitude) son parfois faits, la rigidification de ce simple assemblage de planches par une planche clouée en diagonale est tout à fait étranger à la construction traditionnelle (même encore actuellement). Cet absence fait qu’inévitablement la porte ou le volet, seulement soutenu par ses gonds, va bientôt se déformer sous son propre poids. Le bas frottant est alors régulièrement rogné, et l’espace apparaissant en haut est colmaté avec des moyens de fortunes. Ces efforts répétés et peu discrets sont assez étranges, puisqu’il suffirait de cinq minutes et d’une vieille planche clouée en diagonale pour définitivement régler le problème !

3. La vie quotidienne à Chanin

3a. l’alpage

Mis à part quelques détails, la vie quotidienne dans les chalets d’alpage n’a pratiquement pas changée entre le moyen-âge et les dernières années de leur utilisation intensive vers 1950 ou 1960. Les moyens de transport sont restés les mêmes: mulet, ou âne, l’éclairage par bougie, les récipients fait comme au moyen-âge de lattes de bois serrées entre elles par une branche sur un fond circulaire, la traite de la même manière à la main, le fauchage et le ramassage du foin n’a pas changé, non plus que la fabrication du beurre et du fromage, ni que la manière de garder les vaches sans parc dans la montagne.

Ce qui s’est modifié, c’est l’alimentation, avec la pomme de terre (mais c’est peut-être la seule nouveauté) alors qu’avant on mangeait à la place des fèves (certains en mangent encore), c’est l’apparition du poêle en fonte à la fin du siècle dernier, plus efficace et moins dangereux que la simple cheminée avec une hotte, les câbles pour descendre le foin entre les deux guerres, et puis, dans les dernières années, l’apparition de la radio, aidant à mieux passer la journée dans la solitude de la montagne.

Il faut bien dire que cette arriération du mode de vie était aussi le fait de toutes les hautes vallées des environs, jusqu’à l’apparition des routes, entre 1880 et 1940. Au début du siècle, on labourait encore avec des araires, ne retournant pas la terre, alors que la charrue a été une des premières inventions permettant de sortir du moyen-âge! Mais les chalets d’alpage ne disposant pas d’accès possible par l’automobile ont gardé pour de nombreuses années encore, pour ceux qui ont continué à les utiliser des modes de vie archaïques.

Pour saisir l’essentiel de la vie quotidienne dans un chalet d’alpage, il faut comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une vie de plaisance ou de loisir, mais exclusivement de travail. Le chalet d’alpage n’était jamais une habitation permanente, mais provisoire, ayant pour but d’abriter sur le lieu du travail un ou plusieurs membres de la famille pendant un temps déterminé. Certes, ce temps pouvait durer de 2 à 4 mois dans l’année, mais l’aspect utilitaire et fonctionnel était primordial. On pourrait à la limite comparer la vie en chalet d’alpage, à celle de certains bûcherons qui établissent des campements provisoires quand ils travaillent dans des forêts qui sont trop éloignées de leur habitation. Le chalet d’alpage est donc fondamentalement lié à la pratique de l’alpage, et il permettait à quelqu’un d’habiter sur place lorsque l’alpage était trop éloigné pour revenir chez soi tous les jours.

L’alpage en lui-même, dans ces vallées n’est rien d’autre qu’une partie des terres d’une famille qui se trouvent particulièrement éloignées et élevées dans la montagne. Ce n’est pas par goût que l’on allait dans les alpages, mais par nécessité lorsque les terres proches du village n’étaient pas suffisantes. On peut ainsi voir certaines familles avoir suffisamment de bonnes terres en bas pour s’épargner la peine de l’utilisation d’un alpage, tant pour le ramassage du foin que pour le pâturage.

Le premier usage, et le plus simple des terres d’alpage, vient du fait qu’il y a dans les montagnes des terres très étendues, avec une bonne herbe, mais uniquement pour quelques semaines par an. On peut ainsi y mettre pour l’été, et c’est l’usage le plus courant aujourd’hui, des bêtes demandant peu de travail, comme des génisses, ou des troupeaux de moutons. Ils seront alors revendus avant l’hiver. Aujourd’hui, cela se fait très facilement grâce aux parcs électriques. On peut alors laisser un troupeau de vaches important dans la montagne sans autre surveillance qu’une visite hebdomadaire. Avant cette invention, il fallait que quelqu’un prenne soin que le troupeau n’aille pas n’importe où (d’autant plus que les terres, même dans les alpages sont bien délimitées par le cadastre). Il fallait donc au moins une personne pour le garder. Les moutons, eux allaient beaucoup plus haut jusque vers les crêtes proches de 3000m dans des terrains communaux, et ils n’étaient surveillés que de très loin. C’était le plus souvent les jeunes garçons qui étaient chargés de monter vers les crêtes pour aller retrouver les moutons, et voir où ils en étaient. Cette nécessité d’avoir quelqu’un pour garder les vaches sur place entraînait celle qu’il ait un abris pour dormir et se faire à manger. Répondant à cette nécessité, on trouve sous le col de l’Infernet, deux tout petits chalets: Le pré des Brun et l’Arc qui font à peine 3m sur 5m et qui servaient uniquement d’abris, sans autre installation.

Cependant, jusqu’il y a quelques années, une part essentielle de l’activité agricole de la vallée des Arves était la production de produits laitiers. Les chalets d’alpage devaient donc aussi dans le cas le plus général pouvoir accueillir des vaches laitières. Cela supposait toute une installation, avec en particulier une étable (appelée « écurie ») pour pouvoir traire les vaches. Celles-ci passaient la nuit dans le chalet avant la seconde traite du matin 12 heures plus tard avant d’être remises dans les prés des montagnes, toujours gardées par quelqu’un. Ces terres d’alpage pouvaient enfin servir pour être fauchées afin de remiser du foin pour tout l’hiver où le sol étant recouvert de neige, même dans les villages, il fallait, comme encore aujourd’hui nourrir les bêtes restant tout ce temps à l’étable.

Lorsque le chalet n’était pas trop loin de l’habitation principale (moins d’une heure de marche), la personne s’occupant de garder les vaches et de les traire pouvait revenir dormir à la maison. Le Chalet n’était alors qu’une simple étable, bâtiment fonctionnel permettant de rassembler les vaches laitières et d’y faire le beurre.

Certaines familles avaient deux chalets à deux altitudes différentes, utilisés successivement. C’est le cas de Chanin, le village de base en était le Villard à 1500m d’altitude, le premier chalet se trouvait Aux Ramées à 1650m, on y allait en gros à partir du mois mai, début juillet on montait à Chanin à 2200m et on en redescendait mi septembre pour repasser un mois par les Ramées avant de regagner le village pour tout l’hiver.

Bien sûr, toute la famille n’habitait pas dans le chalet pendant l’été. Il n’y avait en général pas plus qu’une ou deux personnes adultes, et quelques enfants. Les hommes restaient au village pour se livrer au dur travail des foins qui devaient être entièrement fauchés, ramassés à la main, puis transporté. Le travail de garder les vaches, de les traire, et de faire le beurre comme le fromage étant moins dur que ces travaux. Un homme montait une fois par semaine avec le mulet pour monter du ravitaillement et pour descendre la production de beurre et de fromage. Lorsqu’il n’y avait plus de terre à faucher en bas, les hommes pouvaient monter quelque temps pour faucher des terres autour du chalet. Lors du ramassage, pour la plupart ils descendaient avec le mulet chargé de foin dormir au village, mais lors du fauchage, ils pouvaient rester la nuit au chalet, dormant alors dans le foin de la grange.

3aa. Le plan du chalet

Un chalet d’alpage étant avant tout défini par sa fonction de "chalet à vaches", l’essentiel est l’étable (que l’on appelle "écurie" là bas). Il y a donc une écurie au niveau du sol, et un toit. Dans le toit, (la grange), il y a de la place pour stocker du foin, et on y met aussi différentes choses. Pour certains chalets, c’était tout. En effet, quand la chalet n’était pas trop loin du village, on n’y dormait pas. Quelqu’un y allait le soir, et y retournait le matin pour traire les vaches, mais dormait au village. Quand le chalet était était trop éloigné du village, il y avait alors une place pour dormir. Dans les plus anciens chalet, c’était juste un coin dans l’écurie, séparé éventuellement par une barrière à claire voie, faite de piquets en lozange. Et ensuite, il a été d’usage de faire une chambre séparée.

Quand le chalet est construit directement avec une chambre, en général, celle ci se trouve du côté de l’amont, à l’arrière du chalet. Cela permet en effet que l’écurie soit vers le bas, et donc que la rigole des vaches s’ouvre directement vers l’éxtérieur, facilitant grandement l’évacuation du fumier… A Chanin, à l’origine, il n’y avait pas de chambre. Celle-ci a été ajoutée au début du XXe siècle en agrandissant le chalet vers l’aval. La chambre se trouve donc sur l’avant du chalet. C’est bien agréable pour nous ajourd’hui parce que nous y avons une belle vue, mais c’était peu commode pour le travail des vaches, parce qu’il fallait alors sortir tout le fumier avec un brancard par la porte de l’écurie, et puis la rigole des vaches coulait vers la chambre…

La chambre (ou cuisine) était alors séparée de l’écurie par une cloison de bois, elle possédait sa porte propre, et une petite porte de passage permettait d’aller de la cuisine à l’écurie sans sortir dehors.

La grange était là essentiellement parce qu’il fallait bien un toit là dessus… Il y avait toujours du foin dans la grange, et ce pour deux raisons. D’abord, il en fallait toujours un peu pour nourrir les vaches dans les cas extraordinaires où il fallait les garder à l’intérieur. Les jours de neige en particulier, surtout en Chanin, les raides pentes du côté de Valfroide devenaient glissantes et extrêmement dangereuses pour les vaches qui pouvaient s’y tuer. Et puis, du foin dans la grange, ça fait du poids, ça empêche le vent d’entrer dans la grange, et c’est donc un facteur de sécurité pour le chalet l’hiver. Et puis dans la grange, il y avait aussi tout le reste qu’on ne savait pas où ranger, des outils, des restes de bois ou de matériaux, des vêtements et des couvertures accrochées, ou suspendues hors de la portée des souris, et même parfois des lits pour les familles nombreuses…

Il n’y a jamais en général d’accès direct à la grange par l’intérieur. Il fallait toujours sortir dehors. Et comme les chalets étaient le plus souvent sur des terrains en pente, on entrait de plain pied dans la grange par l’arrière du chalet, du côté de l’amont.

Il y avait enfin toujours une "cave", attenante ou à proximité du chalet. Il s’agissait d’un pièce fraîche pour conserver le beurre, les fromages et le lait pendant la nuit pour qu’il s’écrême. A Chanin, c’est une sorte d’appentis collé à la maison, mais souvent cette "cave" était séparée. C’était donc un petit bâtiment à un mètre ou deux de la maison principale, surmonté ou non d’une sorte de chambre en bois permettant de ranger certaines choses précieuses.

A Chanin, la "cave" était remarquablement fraîche, et elle était bien conçue pour ça. D’abord elle est pratiquement entièrement enterrée, le fond en est la roche même de la montagne, et elle est séparée de l’écurie par un mur épais, son plafont était fait de très grosses planches recouvertes d’une forte épaisseur de terre, et au dessus de cela était un toit en lauzes (alors que le reste du chalet était couvert de bois).

3b. L’aménagement

La « cuisine » (seule pièce habitable du chalet) servait à la fois de cuisine, de salle à manger, et de chambre à coucher. Il s’agit d’une petite pièce d’environs 15m2 juste assez haute pour passer sous les poutres sans s’y cogner la tête ouvrant, ouvrant sur l’extérieur par une porte, et éclairée par une petite fenêtre parfois guère plus grande que 30 cm sur 30 cm. Cette cuisine comporte toujours le même mobilier: deux lits souvent faits avec des planches, un poêle en fonte derrière lequel il y a un banc où se trouve la batterie de cuisine, une table, un banc, des tabourets et éventuellement un petit buffet (il n’y en avait pas à Chanin, la vaisselle étant comme souvent rangée dans l’épaisseur de la table dont le côté s’ouvrait. La coutume de ranger toute la vaisselle, verres, assiettes et couverts dans la table se trouve encore dans beaucoup de chalets où tout cela se trouve dans les tiroirs). Il y avait aussi des étagères clouées sur les murs, dont la tranche des planches étaient presque toujours décorées de frises faites artisanalement, à partir de papier découpé, et même éventuellement de papier journal! Lorsque la cuisine était trop petite, il était fréquent même que la table soit escamotable, pouvant se relever le long d’une cloison en bois avec un pied unique au bout de la partie libre, un petit loquet en bois la maintenant levée quand elle ne servait pas.

En fait, la qualité du mobilier dépendait essentiellement de l’éloignement du chalet par rapport au village. Dans de gros chalets qui devaient être utilisés en permanence d’avril à octobre, comme au Vallon, on trouve un mobilier fait l’hiver dans la vallée et monté là, avec des lits semblables à ceux que l’on trouverait dans les villages, des buffets chevillés et même des vaisseliers. Un chalet comme Chanin était trop éloigné pour que cela soit envisagé. Le mobilier avait donc été fait sur place avec les moyens du bord (sauf la table et un petit coffre, sans doute acheté dans la vallée à un de ces nombreux colporteurs souvent d’origine italienne qui passaient vendre leur production). Les lits étaient de simples caisses en bois surélevées par quatre pieds, avec une découpe abaissant un des côtés pour y accéder plus facilement. A Chanin, un des deux lits était fait de bois de récupération, comme on pouvait le voir aux rainures des planches, témoignant de leur usage au siècle dernier en tant que bardeaux pour couvrir le toit. Ces lits étaient simplement remplis de foin, une grosse toile étalée par dessus, et deux ou trois couvertures permettaient de passer assez confortablement les nuits froides de montagne où à 2200m il gèle presque toutes les nuits en juillet et en août. Les lits étaient en général assez élevés, de telle sorte que l’on puisse mettre en dessous, sois une réserve de bois (les branchages d’arcosses, utilisés à Chanin prennent pas mal de place), soit de façon à ce que puissent se loger en dessous des petits animaux (moutons, brebis, ou le chien), ce qui permettait d’avoir une source de chaleur en plus pour le dormeur. Il y avait alors souvent devant le lit un banc sur toute la longueur (séparé du lit, ou en faisant partie) qui permettait de s’asseoir dans la journée, et d’accéder facilement à ce lit surélevé. S’il y avait trop d’enfants au chalet, il pouvait y avoir aussi pour eux un lit mis le long de la cloison dans l’écurie, les adultes dormant dans la cuisine.

Les tabourets étaient de deux sortes, certains permettaient de s’asseoir devant la table pour manger, et d’autres plus bas, à quatre pieds ronds servaient dans l’écurie pour « tirer » (traire) les vaches.

Le sol de la cuisine pouvait être de nature très différentes suivant le chalet. Soit de simple terre battue pour les chalets les plus rudimentaires, soit de grosses pierres posées les unes à côté des autres pour former des dalles, comme c’est le cas à Chanin, soit encore en gros plancher ce qui était le plus confortable. À Chanin, ce dallage en pierre avait disparu au cours de la dernière génération sous une couche terreuse de 10 cm environ, probablement constituée de la terre ou de fumier ramené sous les sabots puis les bottes, de foin et de croûtes de tomme,… Cela a été rendu possible par l’inhabituelle hauteur du plafond dans la cuisine de Chanin, due à la pente naturelle du terrain et à la construction tardive de cette cuisine. Ainsi la montée du sol dans la cuisine n’a pas gêné ses habitants, tant que le béret passait sous les poutres.

Sur les murs on pouvait trouver mis avec des punaises quelques cartes postales ou photos prises dans des magazines ou ailleurs, mais le plus particulier est l’effort constant pour essayer d’empêcher le vent de pénétrer dans l’habitation à travers les planches. Pour cela la pratique qui se retrouve dans tout les chalets consistait à tapisser le mur de journaux, ou d’une toile cirée, principalement à proximité du lit. Pour les autres fentes du mur, elles étaient souvent bouchées comme à Chanin avec de la bouse de vache, qui une fois séchée adhère très bien au bois ou à la pierre et fait un très bon isolant.

Pour avoir enfin une image complète de cette cuisine de chalet d’alpage, il faut imaginer que la poutre longeant la cloison intérieure séparant la cuisine de l’écurie est garnie de gros clous sur lesquels sont accrochés: des cirés, une musette, casquettes ou bérets etc… et à côté de la porte, des bâtons, indispensables pour manoeuvrer les vaches, et accessoire dont un savoyard ne se sépare jamais pour marcher dans la montagne.

L’aménagement de l’écurie était évidemment aussi assez sobre. Le sol pouvait en être de dalles de pierre comme à Chanin, ou plus souvent de grosses planches, avec en son centre une rigole, ou, pour des plus grands chalets, deux rigoles parallèles séparées d’un mètre, ce qui permettait à quelqu’un d’évoluer plus facilement entre les deux rangées de vaches parallèles, le long des murs, les têtes tournées vers ceux-ci. Une barre de bois courait tout le long des murs avec des trous pour attacher les vaches par le cou, et une mangeoire faite de trois planches était en dessous pour y mettre un peu de foin pour la nuit. La race de vache utilisées jusqu’il y a quelques années était la Tarine, vache de taille relativement modeste mais particulièrement adaptée à la montagne par son agilité et sa résistance, faisant moins de deux mètres de longueur. Ainsi, un chalet avec simple rigole comme à Chanin devait faire un peu plus de quatre mètres de largeur intérieure (donc 5m 50 extérieur avec des murs de 70 cm), et les chalets à double rigole faisaient un mètre de plus en largeur. Il fallait en plus prévoir une place pour les veaux, ou les petits agneaux, sous forme de caisse, souvent non loin de la porte. Cela fait que dans une écurie comme celle de Chanin, faisant à peu près 9 mètres de long, il pouvait y avoir une vingtaine de vaches laitières: 12 du côté du mur du fond, et 8 du côté de la porte. Il y avait aussi des cochons dans tous les chalets, mais ils avaient un espace à part pour eux, souvent un appentis construit sur un bord du chalet. A Chanin, il y avait une cabane à cochons à une dizaine de mètres au dessus du chalet, petite construction à toit plat avec les trois murs du fond en pierre, d’environs 3m sur 4, avec une petite porte basse devant percée dans un mur en planche de 1m 50 de haut.

3c. Le travail au chalet

L’écurie de Chanin était fort sombre, la lumière ne parvenant que par la porte lorsqu’elle était ouverte, et par une toute petite fenêtre située en haut du mur enterré du côté de la montagne, ouvrant sous la porte de la grange. Mais avec de l’habitude, la traite des vaches ne nécessite pas beaucoup de lumière.
Eventuellement, s’il était trop tard et que la nuit tombe déjà, une bougie pouvait fournir la lumière nécessaire. Quand il faisait beau, les vaches à traire pouvaient être tout simplement attachées dehors à une sorte de lisse en bois installée sur un petit replat juste à côté du chalet (celui là même où nous avons installé notre tente de "QG" pendant la reconstruction). Cela règlait le problème de la lumière, et évitait d’avoir à sortir du fumier ensuite… La traite des vaches, à la main était un travail relativement long et fatiguant. Pour traire une seule vache, il faut entre 10 et 20 minutes. Il fallait donc plus d’une heure pour traire toutes les vaches, travail qu’il fallait répéter deux fois par jour, à 12h d’intervalle. Le lait était ensuite mis dans de grandes bassines en cuivre pour le laisser reposer jusqu’au lendemain de façon à ce que la crême surnage. (Les autres récipients étaient en bois (les seilles). Ils étaient fabriqués sur mesure, à partir de planches d’épicéa solidarisées par des cercles en branche nouées, dans chaque chalet il y avait tout un jeu de ces seilles de proportions diverses selon l’usage prévu). Le lait était ensuite écrémé en enlevant la crème surnageant, grâce à une poche, petite pelle en bois. La crème mise à part pour faire le beurre, et le lait pour faire des tomes, le tout étant stocké dans la cave fraîche, avant d’être redescendu lors de la visite hebdomadaire d’un homme avec le mulet et le ravitaillement.

Le travail du lait de faisait en général la journée, pendant qu’un enfant allait garder les vaches dans la montagne. C’était aussi un travail assez long.

Pour le beurre, il fallait travailler la crème dans une baratte pendant près de trois quarts d’heure, (la durée dépendait de la température et du temps). Le modèle de baratte le plus courant était un étroit récipient vertical en bois dans lequel trempait un manche terminé par une rondelle de la taille de l’intérieur de la baratte, muni de trous. Le manche pouvait coulisser par l’orifice d’un bouchon au sommet et il suffisait alors d’agiter régulièrement ce manche de haut en bas. Dans les années cinquante, sont apparues des barattes dont il reste encore un modèle à Chanin faites d’un tambour tournant à l’aide d’une manivelle sur un tréteau. Cela permettait évidemment de traiter une plus grande quantité de crème avec moins de fatigue, mais il fallait le même temps. Le beurre devait ensuite être lavé soigneusement avant d’être mis en motte, ou bien dans des moules en bois décorés de motifs en reliefs, ces moules étant en général les seuls objets qui n’étaient pas faits par la famille elle-même, mais achetés à une foire dans la vallée. A Chanin, le beurre était mis en mottes et descendu au village où il était vendu. Pour qu’il reste frais, il était emballé dans des feuilles de Gentiane, et arrivait ainsi dans de bonnes conditions. Ce beurre trouvait facilement des acheteurs, parce que celui fait à Chanin était particulièrement réputé dans toutes les Arves et donc recherché. Le seul qui lui ait fait concurrence était celui fait aux chalets de la Cochette derrière le col des Près Nouveaux. C’est pour cela que quand quelqu’un à table se servait un peu trop copieusement en beurre, il lui était souvent dit dans les Arves: "Tu reviens de la Cochette?"

La tome, était aussi faite avec soin en faisant chauffer le lait et en y mettant de la présure qui était faite par la famille elle-même, puis mise dans des moules, toujours en bois avec un linge à l’intérieur. Pour la remuer était utilisé un petit tourillon que l’on faisait tourner entre des deux paumes alternativement dans un sens et dans l’autre. Ce tourillon était de fabrication très simple, ce n’était rien d’autre que le sommet d’un petit sapin avec quatre ou cinq branches partant dans toutes les directions. Les moules, eux, n’étaient en fait rien d’autre que l’habituelle seille, mais percée de petits trous, et avec un cercle de bois rentrant à l’intérieur sur lequel on mettait une pierre pour tasser le fromage en attendant qu’il se fasse.

Une fois cela fait, et l’écurie nettoyée, il restait encore à faire la soupe, pour les hommes, et pour les bêtes, à aller chercher de l’eau à la source avec des sceaux, à faire la lessive, et à s’occuper du petit potager qui pouvait se trouver non loin du chalet. Celui-ci était plus ou moins riche en fonction de l’altitude du chalet, et du temps que l’on y passait. Dans un chalet comme Chanin où on ne restait guère plus de deux mois, il n’y avait pas le temps de faire pousser beaucoup de choses. Aussi était-ce une simple « ravière », dans laquelle poussait des « raves » (une sorte de betterave ou de navet).

Cela c’était le travail quotidien. Mais il fallait en plus prendre soin des animaux. Il y avait bien sûr le cochon qui était monté (à part des vaches), et les moutons.

A Chanin, l’écurie pouvait contenir environ une quinzaine de vaches. C’est donc ce qu’il y avait là haut. Mais il n’y en avait que 4 ou 5 qui donnaient du lait. S’il faisait beau, ce sont elles seulement qui étaient rentrées dans l’écurie pour la traite. Les autres étaient soit parquées dehors, soit restaient à peu près à côté du chalet pendant la nuit. Mais s’il venait la neige ou un trop mauvais temps, alors il fallait pouvoir rentrer toutes les vaches à l’intérieur en attendant que cela aille mieux. Il y avait aussi 20 ou 30 moutons. Pour essayer qu’ils ne s’éloignent pas trop du chalet, du sel était mis pour eux au dessus du chalet. La pluspart de ces moutons étaient en garde pour l’été. L’hiver, il n’y en avait que 4 ou 5 qui étaient gardés au village, ils mangeaient les fonds de grange, foin pas assez bon pour les vaches.

Le cochon, lui, était dans un abris à part du chalet, une dizaine de mètres plus haut. Il mangeait de l’herbe et des rhubarbes sauvages bouillies, ainsi que le petit lait.

En plus de cela, il y avait tout le travail saisonnier, pour lequel il pouvait y avoir du renfort. C’était en particulier le cas au moment des foins. Pour cela, on gardait les pentes d’herbe qui pouvaient être les plus régulières possibles, pas trop en pentes, et donnant la plus grande hauteur d’herbe de bonne qualité (des grandes tiges pourrissent et ne plaisent guère aux bêtes). Mais dans tous les cas, l’herbe n’est jamais très haute autour de 2000 ou 2200m d’altitude, et il y avait donc là un travail considérable pour un rendement particulièrement faible.

Le travail du fauchage était presque toujours le travail des hommes. Levés avant le lever du jour, les hommes partaient à 3, 4, ou plus pour faucher une parcelle par bandes parallèles, en montant dans le sens de la plus grande pente. A l’époque où la population était importante dans la montagne, on a même fauché des prés extrêmement en pente, comme « les travers « , pentes à près de 45° qui descendent vers le Révi, c’est à dire vers la vallée de Valfroide. On raconte encore, ce qui est certainement légendaire mais qui a eu peut-être une part de vrai, que dans certaines de ces pentes, les faucheurs étaient attachés par des cordes accrochés à des pieux au sommet du champ pour pourvoir tenir debout. C’est pour stocker le foin coupé là , avant de le redescendre dans la vallée, et pour permettre aux faucheurs de dormir sur place qu’avaient été construites les séries de cabottes, cabanes dont il ne reste que des traces, mais qui se trouvaient au nombre de 5 ou 6 régulièrement espacées sur tout le chemin du Révi longeant en corniche le bord de Vallefroide à mi hauteur. Les propriétaires de Chanin disposant d’un chalet sur la crête n’avaient pas besoin d’avoir de telle cabotte. Le rythme du fauchage était régulièrement interrompu par de courtes séances de rééguisage de la lame, ou lorsque celle-ci avait heurté une pierre, par un petit travail de réparation en martelant la lame sur une petite enclume plantée en terre, ce qui était toujours bienvenu, permettant de s’asseoir pour quelque minutes de repos, mais il n’empêche que ce travail était épuisant. Des faucheurs expérimentés pouvaient alors faucher pendant des heures, jusqu’au moment de midi, alors qu’un faucheur inexpérimenté est épuisé en moins d’un quart d’heure. D’ailleurs un amateur ne saurait couper ne serait-ce qu’une seul brin de cette herbe courte et drue qui pousse en altitude.

Si le soleil était au rendez-vous, il fallait laisser le foin coupé sécher au moins une journée, puis le retourner avec un râteau de bois, le relaisser sécher une journée, le rassembler en tas de 30 à 40 kg qui seront liés en barillons. Pour toutes ces opérations, les femmes et les enfants collaboraient, chacun ayant sa spécialité. Ensuite les hommes seuls aidés du mulet faisaient le transport vers la vallée.

Et puis enfin, il ne faut pas oublier, dans la catégorie des travaux saisonniers, tout le travail qu’il y avait avant d’ouvrir véritablement le chalet pour y accueillir les bêtes. Il ne faut pas oublier que le chalet a passé de longs mois sans aucun entretien dans l’hiver. Or un chalet comme Chanin reste une construction rudimentaire, prévue pour être abrité l’été, permettant à ses habitants d’être protégé d’un froid modéré et de la pluie, mais il est loin d’être totalement étanche à la neige et aux tourmentes redoutables de l’hiver. Il y a toujours des fentes dans un chalet, les portes sont plus ou moins jointives, et le vent continuel avec une absence quasi totale de dégel pendant tout l’hiver, fait que la neige pénètre à l’intérieur pour s’amasser en quantité parfois importante à certains endroits.

Cela est vrai en particulier pour la grange, d’autant plus qu’une grange de maison ou de chalet est toujours prévue pour avoir de l’aération, de façon à permettre au foin qui y est stocké de ne pas fermenter, ou en tout cas de ne pas laisser s’accumuler des gaz qui pourraient s’enflammer spontanément. Mais l’hiver, cela veut dire que la neige peut rentrer. A cause de cela, les granges de chalets d’altitude sont en général moins aérées que celles des maisons dans les villages. En particulier, on ne retrouve plus à partir d’une certaine altitude les beaux pignons fermés par un treillis d’arcosses, et à Chanin, la grange du côté de l’aval était même fermée d’une double épaisseur de planches de façon à empêcher le vent de s’engouffrer par les interstices. Normalement, avant de partir à l’automne, on bourrait du foin sec sur les deux bords de la grange dans toute la longueur du toit pour boucher les interstices se trouvant inévitablement entre les chevrons au niveau de la poutre sablière. Cette neige qui rentre dans les granges est maintenant qu’ils ne sont plus visités tous les ans, une grande destructrice de chalets, car le foin mouillé l’hiver se tasse sur lui-même et ne parvient plus à sécher s’il n’est pas remué, il pourrit alors, entraînant le pourrissement des planches qui le portent. Le premier symptôme est alors la courbure importante que prennent ces planches qui se ramollissent, puis vient le pourrissement des poutres d’entrait, et la charpente cessant d’être rigide peut être facilement détruite par un coup de vent plus fort.

Dans les cuisines aussi, la neige pénétrait inévitablement et parfois en quantité importante, s’amassant sur le sol, dans les coins, le long d’un mur, sous forme de congère. Mais toute cette neige s’évacuait d’elle même au moment du dégel, en partant dans le sol sous forme d’eau. Cependant, cette neige apportait souvent avec elle une quantité de poussière terreuses recouvrant tout, qu’il était préférable d’enlever. Il fallait ensuite rebrancher le tuyau du poêle (en général débranché pendant l’hiver pour éviter que l’eau ou la condensation coulant dans la cheminée ne vienne rouiller la fonte du poêle, remettre du foin neuf dans les lits, nettoyer les innombrables crottes des souris qui ont profité de l’abris du chalet pour passe l’hiver à grignoter tranquillement tout ce qu’elles pouvaient trouver: du papier au plastique des bottes ou des jerricans, en passant par le bois de la table ou des bancs. Il fallait enfin reboucher tous les trous faits par les animaux au cours du printemps (mulots, renards, marmottes) afin de rendre le chalet un peu plus étanche au vent. En dehors du chalet, il fallait aussi aller voir si la source avait bien passé l’hiver, et éventuellement la réaménager, pour qu’elle coule bien, et que les bêtes puissent y boire dans un petit bac fait avec des planches etc….

A Chanin, il y avait en plus un travail considérable et bien spécifique: les soins à donner à la Gouille. Les points d’eaux, en effet, étant rares sur la crête (seulement la source de Chanin, et la petite source très saisonnière dans le même vallon un peu au dessus), il avait fallu aménager une retenue d’eau dans un vaste vallon au dessus des chalets, à 2300m d’altitude. Cela formait un petit étang de 25m sur 15m dont tout le pourtour du côté de l’aval était constitué par une digue artificielle de plus d’un mètre de haut.

Cette mare se trouvant dans un petit bassin de réception, bénéficiait des eaux de fonte des neiges, puis de celles des pluies importantes. Pour permettre qu’elle soit suffisamment alimentée, un bief d’une centaine de mètre de long avait été creusé pour aller chercher l’eau du ruisseau de Coirnavan alors naissant, mais bénéficiant, en cas de pluie, d’un bassin de réception beaucoup plus important. Or cette Gouille était quelque chose d’indispensable, et de très fragile. Le bief devait être révisé régulièrement, son départ pouvant être emporté par une pluie trop importante, ou un animal ayant pu l’endommager, le laissant perdre son eau en route. S’il n’y avait pas assez d’eau, des animaux pouvaient creuser des terriers dans le fond, avec pour effet de le vider comme un lavabo. S’il y avait trop d’eau, la digue pouvait être emportée par le débordement, entraînant d’important travaux de réfection… et de toute façon, les vaches, à force de patauger, si elles assuraient ainsi l’étanchéité du fond, amenaient de la terre qu’il fallait retirer tout les ans pour évite que la mare se comble. Il fallait donc la recreuser tout les ans, mais pas trop, car sur sa partie est, la couche de terre imperméable n’était pas très importante, et il y avait le risque, en creusant trop, de la voir ensuite perdre son eau…

Et puis enfin, dernier travail important avant d’envisager de faire monter le troupeau au chalet: dégager le chemin. Le Chemin de Chanin, s’il était remis à plat ferait à peu près trois ou quatre kilomètres de long. Cela peut sembler peu pour un chemin que l’on met 3 heures à parcourir, mais c’est considérable quand il faut l’entretenir entièrement à la main. Or, un chemin de montagne est extrêmement fragile, et demande de toute façon un entretien régulier, faute de quoi, il peut absolument être inutilisable en une dizaine d’années. Les deux ennemis principaux des chemins d’alpage, sont: les ravinements et les éboulement, et surtout à Chanin, les arcosses, buissons qui poussent à une vitesse considérable.

Les ravinements peuvent être dans certains chemins un problème constant et considérable, puisqu’il faut alors prendre une pioche et recreuser le chemin. A Chanin, le problème se pose peu, le chemin n’étant pas très exposé, mais le chemin qui passe dans le fond de Valfroide pour accéder au pré des Bruns, ou pour monter ensuite à la Saussaz reste encore aujourd’hui du provisoire d’année en année sur des centaines de mètres. Certains chemins étaient même carrément taillés dans des combes ravinées, comme par exemple celui du Révi sous Chanin, en traversant le Recher Il devait alors être retaillé à la pioche tous les ans. Dans d’autres cas, des éboulements pouvaient obliger à contourner l’obstacle, comme on le voit sur le chemin montant au chalet de la Saussaz, qui devait autrefois traverser la combe qui est contre le chalet pour y accéder directement, et qui maintenant doit monter deux cents mètres plus haut, passer au dessus, puis redescendre ces deux cents mètres pour arriver au chalet. Mais même sur le chemin de Chanin qui est peu exposé aux ravinements (sauf à l’endroit du torrent du Vallon), il fallait veiller à ce qu’il soit partout bien praticable, pour éviter qu’une vache ne glisse du chemin, et tombe vers l’aval dans des pentes abruptes d’où il pourrait être très difficile de la sortir. Il y a d’ailleurs encore un endroit, entre les Ramées et la traversée du torrent du Vallon où subsiste une importante barrière pour éviter que des vaches ne tombent dans l’impressionnant ravin que longe le chemin.

Il n’en reste pas moins que l’ennemi principal du chemin de Chanin sont les arcosses: sortes de buissons à racines rampantes majoritairement répertoriés comme aulnes verts. Ces arcosses peuvent pousser de 20 à 40 centimètres par an, et trouvent l’endroit des chemins particulièrement accueillants parce qu’il y a là de la lumière et de l’humidité. Il faut donc tous les ans passer une journée au moins pour couper les arcosses qui commencent à gêner le passage, et qui finiraient par l’obstruer totalement. Pour donner une notion de la rapidité avec laquelle les arcosses peuvent obstruer un chemin, il suffit de savoir que le chemin de Chanin a été utilisé et entretenu jusque vers 1962. Or, en 1976, il était déjà impossible de suivre le chemin dans la partie se trouvant sous le chalet, contraignant celui qui voulait aller voir le chalet à monter droit dans la pente sur l’arête pendant les 200 derniers mètres. Pour rétablir à peu près correctement le chemin, il a fallu entre 1992 et 1994 un total de près de 20 journées de travail complètes!… et ce n’est pas fini, puisque les arcosses ont déjà repris leur travail…

Le chemin étant communal, il n’avait pas échappé aux propriétaires de Chanin, et seuls utilisateurs dans les 50 dernières années de toute la partie du chemin à partir du torrent du vallon, que l’entretient en était normalement à la charge de la commune qui devait légalement entretenir régulièrement un chemin lui appartenant, servant à un de ses administré. Mais cette obligation légale n’a jamais et n’est pas prête à être honorée. Il était régulièrement répondu aux doléances que ceux qui entretenaient le chemin devaient se montrer déjà bien heureux puisqu’ils en profitaient pour faire leur bois. Cet argument n’était sûrement pas convainquant, mais néanmoins pas faux.

Il faut en effet se rappeler que Chanin se trouve très au dessus de la limite des derniers arbres et même plus haut de près de 100m que les derniers arcosses. À cette latitude, la forêt s’arrête à 2000m, soit 200m en dessous de Chanin, et encore, les arbres qui poussent là ne sont que des résineux peu efficaces comme combustible (ils poussent par contre si lentement que leur bois serré a une résistance et une densité tout à fait remarquable, un sapin centenaire a une dizaine de centimètres de diamètre). Par contre, le bois d’arcosse est un très bon combustible. Ce bois faisant peut-être des pousses rapides, grossit très lentement, à cause de l’altitude, fournit un bois serré et dense qui fait d’excellentes braises et de bonnes flammes. Cette qualité de combustible était tellement remarquable qu’on descendait même des arcosses avec le mulet jusqu’au village pour en avoir à brûler là pendant l’hiver. A Chanin, le bois brûlé dans le poêle, était donc uniquement de l’arcosse monté de plus bas. Les arcosses coupées sur le chemin l’étaient soit avec un croissant Goyard, soit à la racine à l’aide d’une pioche savoyarde aiguisée. Ils n’étaient donc pas perdus, mais laissés sur le bord du chemin, ils restaient là un an pour être ensuite liés en fagots, et remontés bien secs (et donc moins lourds) au chalet afin d’y être stockés dans la grange. Ceux qui avaient passé deux hivers étaient repérables par leur écorce commençant à se détacher, et étaient délaissés comme ayant perdu une grande partie de leurs qualités de bois de chauffage.

Le seul autre combustible utilisé à Chanin comme dans beaucoup de chalets était la bouse de vache. Elle était mise à sécher dans des petits moules rectangulaires faits de tôle d’environs 20cm sur 10cm, suspendus à des fils de fer dans la grange, pour donner des briques mises ensuite dans le poêle une fois que le poêle était allumé pour maintenir la chaleur. Ces briques de bouse se consumaient alors plus qu’elles ne brûlaient vraiment en ne dégageant pas d’odeur particulière mais permettaient de maintenir le feu pendant un certain temps. Cela était bien pratique pour laisser mijoter la soupe toute la matinée ou pour maintenir une certaine chaleur la nuit (à cette altitude il fait de -2° à +5° la nuit l’été).

Il ne faut, pour finir, ne pas oublier une chose qui semblait essentielle à faire en tout premier lieu pour celui qui monte d’abord au chalet: fleurir la croix. Il y avait en effet, fixé sur le bout de la poutre sablière ouest du chalet, une petite croix en fer forgé qui avait grande importance. Il est presque constant qu’il y ait une ou des croix sur les chalets, le plus souvent une simple croix de bois juste clouée sur la porte, ou au minimum un crucifix dans la cuisine. A Chanin, il y avait une croix métallique sur laquelle on pouvait encore lire:  » souvenir du Mont de Lans « . La mère de l’ancien propriétaire a passé toute sa vie ses étés à Chanin (elle est décédée à plus de 85 ans en 1994, après avoir vu en pleurant des larmes de joie les photos de Chanin reconstruit), elle se souvient que sa mère lui disait:  » surtout n’oublie pas de fleurir la croix dès que tu arrives au chalet « . C’était là un acte de piété certes, mais aussi un peu intéressé, car sa mère lui disait aussi:  » tant que la croix sera là à sa place, le chalet ne tombera pas « . Or il est vrai que cette croix a été volée aux alentours des années 80, juste avant que le toit du chalet soit emporté par une bourrasque de vent, créant des dommages tels que pour restaurer le chalet il a fallu le reconstruire entièrement! On peut alors penser par une égoïste satisfaction que la grand mère avait encore raison en disant:  » mais vous savez: celui qui a fait ça, cela ne lui portera pas chance « ! (ce serait d’autant plus justice qu’il n’est pas tout à fait impossible que celui qui a volé la croix soit celui qui a laissé la porte de la grange ouverte l’hiver où le vent a emporté le toit). Depuis une nouvelle croix en fer forgé a été remise à la même place, on ne sait jamais, et une petite croix en bois a été posée sur la porte de la grange.

3d. L’alimentation

On mangeait assez simplement au chalet, mais en fait, dans les villages aussi, sauf dans des occasions exceptionnelles où il pouvait être fait un plat particulier, comme un farci, des bugnes, une tartiflette, un lapin etc… En fait, les habitants des montagnes disposaient de très peu d’argent pour acheter des choses à l’extérieur, et vivaient jusqu’il n’y a pas si longtemps pratiquement en autarcie. Les seules choses achetées à l’extérieur, étaient: le café, le sucre, le sel, les spaghettis, la polenta (semoule de maïs). Tout le reste provenait du potager: légumes, salades, pommes de terre etc… des champs: du pain, fait le plus souvent avec de la farine de seigle, de l’écurie: lait, fromage, et des cochons: jambon, saucisson, et puis des oeufs, parfois un lapin etc… On a là ce qui constituait l’essentiel des éléments des repas.

On ne mangeait donc pratiquement pas de fruits, à part quelques framboises ramassées le long du chemin du chalet ou sur les bords des prés fin août, et des pommes pour ceux qui étaient assez riches pour posséder un champ avec des pommiers plus bas dans la vallée. Certains, de la même manière possédaient quelques vignes dans le fond de la vallée, vers Saint Jean de Maurienne pour avoir leur propre vin, mais cela restait rare.

Quant à la viande, l’absence de moyen de conservation faisait qu’on ne mangeait pratiquement jamais de viande fraîche, sauf quand on tuait le cochon à l’automne, ou lorsque pour circonstance un peu exceptionnelle, on s’offrait un lapin. Et de toute façon, la viande, sous quelque forme restait toujours un luxe, et il n’en était mangé qu’une fois par semaine à peu près. Une bonne consommation de fromage et d’oeufs permettait de suppléer en partie à cela, mais il est certain de des carences en protides ou en vitamines entraînaient un vieillissement prématuré de la peau ou d’autres problèmes… bien que certains vivaient très vieux et en très bonne santé.

Au chalet, on mangeait de la même manière mais souvent plus simplement encore. A midi, un simple pic-nic avec du pain, du fromage, et éventuellement du saucisson et du pâté faisait l’affaire. Il n’y avait alors pas besoin d’allumer le poêle et de consommer du bois pour faire chauffer quelque chose, et s’il faisait beau, ce pic nic était pris au soleil, derrière le chalet, assis dans la porte de la grange, ce qui permettait de profiter un peu de la chaleur, malgré un air qui reste frais tout l’été, montant rarement au dessus de 15 degrés, même à l’intérieur de la cuisine, sans bêtes et sans poêle.

Le repas du matin était constitué comme aujourd’hui de café, de lait et de pain. Sur le pain, on pouvait mettre du beurre, ou le manger déjà avec du fromage, de la Tomme. Pour faire des tartines, il pouvait aussi y avoir de la confiture, mais celle-ci était plutôt un luxe, ne disposant pas naturellement de fruits pour en faire. On ne voit guère dans les villages de fraises ou de groseilles, peut être à cause de l’altitude, ou des soins que cela demanderait. On faisait alors parfois de la confiture de carottes, ou au chalet de la confiture faite avec la rhubarbe sauvage qui pousse devant les chalets. Les adultes d’aujourd’hui qui ont eu à en manger étant enfant s’en souviennent encore avec une moue significative!

Le véritable repas était donc le plus souvent le soir. Il était presque toujours constitué de pommes de terre, de spaghettis ou de pâtes. Les pommes de terre étaient cuites dans de l’eau salée en laissant chauffer jusqu’à ce que l’eau soit totalement évaporée, elles devenaient alors agréablement salées et croustillantes. On pouvait bien-sûr aussi les faire à la poêle, ou bien dans du lait. Il existait aussi un petit pilon taillé en bois afin de réduire les pommes de terre en purée, et une fois par semaine, on les accommodait avec du lard pour avoir un peu de viande. Quant aux pâtes, elles étaient d’abord saisies dans le fond du chaudron avec de la graisse, puis de l’eau bouillante était versée dessus en juste quantité. Celle-ci s’évaporait ou était absorbée par les pâtes pour les laisser juste à point dans le fond de la marmite.

Quant aux légumes, ils pouvaient être cuits à l’eau, accommodés avec un peu de crème, ou bien, et c’était les cas le plus courant, en potage. Il suffisait pour cela de mettre les légumes dans un chaudron avec de l’eau (l’eau de la source de Chanin ayant d’ailleurs la réputation de donner une bonne saveur toute particulière aux soupes) et de laisser le tout sur le poêle. Elle pouvait soit se faire le soir pendant le travail des vaches. (Il y avait aussi en général une sorte de soupe faite pour certains animaux, veaux, cochons, chien etc…) ou bien, si le feu était allumé le matin, il suffisait de mettre le chaudron sur le poêle, puis de laisser cuire le temps que le feu s’éteigne en partant se promener, faire autre chose, ou aller garder les vaches, et la soupe se faisait toute seule, cuisant juste le temps voulu.

Il est de fait qu’un poêle non rechargé brûle bien pendant une heure, reste avec de bonnes braises deux heures, mais s’éteint ensuite. Cela est à noter, parce que cela montre qu’il n’est pas possible d’avoir un feu qui dure toute la nuit, à moins, de se relever toutes les deux heures pour remettre du bois, et c’est ce qui pouvait se faire lors d’un séjour hors saison, comme à la Toussaint pour fermer le chalet, pour la chasse, ou pour effectuer des réparations.

Ce même poêle pouvait aussi servir pour une gourmandise: les jours de pluie, les escargots sortent nombreux, et le chemin de Chanin a en particulier la réputation d’en montrer des gros en grande quantité pour celui qui monte au chalet un jour de pluie. Ces escargots récoltés étaient alors directement mis les uns après les autres sur les braises du poêle, et mangés dès que la coquille commençait à brûler avant que l’intérieur ne soit calciné. Bien sûr, on pouvait aussi les préparer d’une façon plus habituelle, mais la méthode rustique est à la fois simple (puisqu’il n’y a même pas besoin de les faire dégorger), et savoureuse… paraît-il.

Pour ce qui est enfin des boissons, même si les hommes consommaient habituellement du vin dans la vallée, c’était plutôt de l’eau que l’on buvait au chalet. D’abord parce qu’il était normalement habité par des femmes et des enfants, ensuite parce que des bouteilles de vin auraient été lourdes à monter, alors qu’une bonne eau fraîche était toujours à disposition. Cependant, il y avait toujours au chalet comme au village une bouteille de Génépi, liqueur de fabrication locale fort appréciée. Le Génépi était simplement fait à partir des brins de fleurs de génépi qui sont assez rares, mais que l’on trouve en abondance sur la cime des Torches à partir de 2600m. Il paraît même qu’on en trouve déjà au sommet du plan de la Gouille à 2400m. Quarante de ces brins étaient mis pendant au moins quarante jours avec quarante morceaux de sucre dans un bouteille de Marc de Savoie, et l’on obtenait cette boisson forte au goût se rapprochant un peu de l’absinthe. Le génépi a un plus la réputation d’avoir des qualités toniques et excitantes, cela était bien plus perceptible lorsqu’il était pris en infusion, ce qui pouvait être fait, mais avec beaucoup de précaution, et de modération, à cause de la conscience forte des risque d’accident cardiaque que cela pouvait entraîner. On raconte même que des boucs pâturant dans un endroit riche en génépi se trouvent ensuite particulièrement en forme pour perpétuer leur race, ce qui pouvait inciter les bergers à les emmener là volontairement!

On pouvait aussi faire de la liqueur de gentiane, à partir des racines des grosses gentianes jaunes qui pullulent dans les herbages plus bas que le chalet. Avec cette même racine on peut préparer du vin de gentiane ressemblant à la Suez en mettant 5cm de racine à macérer avec une bouteille de vin blanc de la vallée, un verre de marc, et un verre de sucre, après un mois environ le vin a pris le goût et l’agréable amertume de la gentiane et il faut retirer le bout de racine. Enfin on peut, mais c’est sans doute plus folklorique que cela n’a été courant, capturer une vipère (elles étaient nombreuses à Chanin, et plus encore maintenant qu’il n’y a plus de bêtes pâturant), la laisser jeûner pendant une semaine dans un bocal pour qu’elle se vide, puis la plonger dans une bouteille d’alcool. Ce breuvage avait la réputation d’avoir certaines propriétés curatives.

Enfin, certaines fleurs pouvaient se consommer en infusion, comme la violette en particulier, qui devait être récoltée au printemps (c’est à dire en juillet autour du chalet) puis être mise à sécher à l’ombre, et elle donnait alors une bonne infusion avec des qualités recherchées.

Une Réponse à “le chalet
de Chanin”

  1. jerome dit :

    bonjour,
    pour trouver d’autres indices pour dater une ruine, on peu détecter à l’aide d’un détecteur de métaux, il est courant de trouver des monnaies, des objets autour de ces chalets.
    j’ai constaté que les ruines qui contiennent des restes de charpente dates bien souvent du XIXème alors que les autres ou l’on voit que les fondation date la plupart du temps du XV ou XVIème siècle (datations à partir des monnaies trouver dans l’alpage autour des masures).

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